Monsieur Jérôme
Monsieur Jérôme1
Connaissez-vous dans le canton
Certain savant, bon compagnon,
Qui de Copernic, de Newton,
Fit le second tome ?
On devine son nom,
C’est monsieur Jérôme.
Comme un chantre lit au lutrin,
Dans les cieux il vous lit en plein :
Qu’une comète aille son train,
Crac, vite, il vous l’empaume ;
Ce n’est qu’un tour de main
Pour monsieur Jérôme.
L’astre qu’il observe le plus
Est la planète de Vénus :
Tous ses aspects sont bien connus
De ce grand astronome ;
Les cieux sont toujours nus
Pour monsieur Jérôme.
Quand il parle ou quand il écrit,
En grand chorus on applaudit ;
L’innocente Lise se dit :
Cela vaut un royaume
Ah ! quêtons de l’esprit
Chez monsieur Jérôme.
Il raisonne comme un Platon,
Il n’agit point comme un Caton ;
Moi, je trouve qu’il a raison,
Caton fut trop sauvage,
C’était un furibond ;
Jérôme est un sage.
- 1 Jérôme Lefrançais de Lalande, célèbre astronome, membre de l’Académie des sciences et professeur au Collège de France, était le vénérable de la loge maçonnique des Neuf-Sœurs, où cette chanson fut chantée en son honneur, le 30 septembre, jour de la fête de saint Jérôme. « Quoique tout ce qui se passe dans l’intérieur des francs-maçons doive être un secret, remarquent les Mémoires secrets, l’amour-propre de l’auteur et du héros a laissé transpirer cette plaisanterie. Pour bien l’entendre, il faut savoir que M. de Lalande est grand amateur du beau sexe et philosophe d’une société douce et aimable. » L’auteur de Paris, Versailles et les provinces au XVIIIe siècle est moins indulgent pour l’illustre astronome, et il le traite avec fort peu de ménagements. « M. de Lalande, ditil, joignait à des connaissances rares une vanité absurde qui lui faisait dédaigner comme préjugés populaires non seulement les sentiments qui font le bonheur et la consolation de l’humanité, mais même les répugnances générales que la nature semble avoir placées chez tous les hommes. En société, il affectait de sortir de sa poche une boîte pleine d’araignées, de les prendre délicatement avec ses doigts, de les sucer et de les avaler, en soutenant qu’il n’y avait pas de mets plus fin et plus délicieux…. Il quitta momentanément la capitale pour aller revoir sa patrie (Bourg-en-Bresse). Il y fut accueilli avec l’enthousiasme qu’inspirait sa grande réputation… A son retour à Paris il s’empressa de vanter sa province comme un des sites les moins connus, mais des plus riches de la France et le plus ménagé pour ses impositions. Ce fut d’après ses assertions qu’on doubla les contributions de ce pays, et il ne dut pas être étonné que dans un second voyage toutes les portes lui fussent fermées. Il établissait sur les mouvements des astres, sur les variations des saisons des prédictions non seulement physiques, mais politiques et morales dont il ornait l’almanach de Gotha, et qui en faisant la fortune de ce petit ouvrage contribuaient à la sienne. C’est là qu’il annonça l’arrivée prochaine d’une prodigieuse comète qui, se rapprochant de la terre devait l’embraser et la réduire en poudre, prophétie qui alarma beaucoup d’esprits faibles et ne servit qu’à dévoiler son charlatanisme, la comète n’ayant point paru et la terre étant restée aussi fraîche qu’à son ordinaire… Il affectait de prêcher hautement l’athéisme et de soutenir que la matière, étant éternelle, s’était organisée d’elle-même. Ayant peu de moyens de faire valoir un système aussi absurde, il ne répondait aux raisonnements qu’on opposait à ses paradoxes que par un rire sardonique et un mépris insultant que sa figure ignoble rendait encore plus insupportable. » (R)
Raunié, IX,176-78 - Mémoires secrets, XII, 135-36