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Épître à Figaro

Épître à Figaro
Disciple enjoué de Thalie,
Toi, qui du bonnet de Momus
Coiffes la tête d’Uranie,
Toi qui, le martyr de l’envie,
Au moment où l’on te crut exclu
Par une cabale ennemie,
Revins soudain d’Andalousie
Escorté de jeux et de ris,
Pour dérouter la calomnie
Et faire rire tout Paris,
Salut, enfant de la folie !
Par un accueil bien mérité,
Le public a donc fait justice
Des sots qui t’ont persécuté.
En vain leur absurde malice,
Au Roi t’avait représenté
Comme un fou digne de supplice,
De qui la coupable gaîté
Allait choquant l’autorité,
Compromettant mainte excellence,
Se jouant de la gravité
De plus d’un corps plein d’importance,
Et poussant même la licence,
Jusqu’à dire la vérité.
Comme Tartufe maltraité
Tu trouves la même vengeance.
Qu’un triomphe aussi glorieux,
Échauffe, excite ton courage.
Tu fis un chef-d’œuvre : fais mieux,
Aristophane de notre âge,
Pénètre jusque dans les cieux,
Bannis-en maint sot personnage
Que l’erreur met au rang des dieux.
A ton folâtre persiflage
Immole ces grands si petits,
Chardons qu’un hasard fit éclore
Où le laurier croissait jadis ;
Fléaux dont le luxe dévore
Le peuple objet de leur mépris,
Que leurs mœurs corrompent encore,
Et qui de titres souvent faux
Repaissant leur stupide ivresse,
Semblent penser que la noblesse
De vertus ainsi que d’impôts
Exempte leur vaine hautesse.
Peins d’une couleur vengeresse
Les vils pontifes de Thémis,
Prévaricateurs aguerris,
Qui, le front armé d’impudence,
A la toilette de Cypris
Vont de l’arrêt de l’innocence
Fixer et recevoir le prix.
Ces publicains aux mains avides,
Dont les cœurs offrent le portrait
De la tonne des Danaïdes ;
Les vizirs, tyrans par brevets,
Craints par l’abus de la puissance,
Qui sur le front de l’innocence
Promènent sans nulle prudence
Et les chaînes des malfaiteurs
Et le glaive de la vengeance.
Mais, laissant ces vices divers,
Fredonne encor sur ta guitare
Nos petits talents, nos grands airs,
Et la kyrielle bizarre
De nos jeux et de nos travers,
Qu’un jour et vieillit et répare.
Chante nos femmes en faveur
Donnant dans un boudoir magique
Le sceptre d’administrateur,
Et le rameau diplomatique,
Et le ruban de la valeur,
Et le fauteuil académique,
Et l’hermine du sénateur,
Et la simarre apostolique.
Célèbre nos jeunes héros,
De Suffren et de La Fayette
Se croyant les dignes rivaux,
Pour avoir fait mainte conquête,
Prenant d’assaut lits de repos,
Mettant aux fers quelque caillette ;
Maint seigneur se croyant poète
Pour avoir fait des madrigaux
Et chansonné quelque coquette ;
Nos bégueules dites Saphos,
Les conciles de la toilette,
Nos mœurs libres, nos vers moraux,
Et la guerre de l’ariette,
Et la justice des journaux.
Rappelle enfin sur notre scène
La joie au front toujours serein,
Dont le drame à pleurer enclin
Usurpe si fort le domaine.
Au milieu des ris et des jeux,
Et toujours de bons mots prodigue,
Ramène l’art ingénieux
De suspendre au fil d’une intrigue
L’essaim des spectateurs joyeux.
Conserve surtout ta franchise
Et ton utile liberté :
Le Roi le veut et l’autorise.
Eh ! comment de la vérité
Louis pourrait-il se défendre ?
On le sait bien, Sa Majesté
Ne peut que gagner à l’entendre.

Numéro
$1542


Année
1784




Références

Raunié, X,140-44 -  CSPL, t.XVI, p.310-11