Les Couches de la duchesse de Berry
Les couches de la duchesse de Berry1
Or écoutez, petits et grands,
Un très funeste événement,
Oh ! reguingué, oh ! lon lan la !
A l’endroit d’une jeune dame
Qui en a le regret dans l’âme.
Dans le Luxembourg, ce dit-on,
Elle a fait un joli poupon
Et quoique tout le monde en glose,
Tous les jours fait la même chose.
La nuit du dimanche au lundi,
Les douleurs elle ressentit,
Mais en moins d’une demi-heure
Elle est accouchée ou je meure.
La sage-femme on appela.
La voyant, elle s’écria :
« Princesse, que vous êtes habile
D’avoir si tôt fait une fille ! »
La mère est de bonne maison,
Elle est du vrai sang de Bourbon,
Mais nous en ignorons le père,
Car ils étaient trop à lui faire.
Depuis la mort de son mari,
Cet aimable duc de Berry
O ! reguingué ! oh ! lon lan la !
Pour ne point éteindre sa race,
Elle épouse la populace2
.
- 1« Mme la duchesse de Berry a fait tant de bruit dans l’espace d’une très courte vie que, encore que la matière en soit triste, elle est curieuse et mérite qu’on s’y arrête un peu. Née avec un esprit supérieur et, quand elle le voulait, également agréable et aimable, et une figure qui imposait et qui arrêtait les yeux avec plaisir, mais que sur la fin le trop d’embonpoint gâta un peu, elle parlait avec une grâce singulière, une éloquence naturelle qui lui était particulière, et qui coulait avec aisance et de source, enfin avec une justesse d’expressions qui surprenait et charmait. Que n’eût‑elle point fait de ces talents si les vices du cœur, de l’esprit et de l’âme, et le plus violent tempérament n’avaient tourné tant de belles choses en poison le plus dangereux ! L’orgueil le plus démesuré et la fausseté la plus continuelle, elle les prit pour des vertus, dont elle se piqua toujours, et l’irréligion, dont elle croyait parer son esprit, mit le comble à tout le reste. » (Saint-Simon.) (R)
- 2». Comme le dit la chanson ce « poupon du Luxembourg » est de paternité très incertaine, sachant que la duchesse de Berry a « maintes passades », comme le précise Saint-Simon, avant de tomber sous la coupe de Riom, qui devient son « amant en titre » tout en étant aussi le galant sa dame d'honneur, la Mouchy. D'autres chansons, dont probablement le Noël de la cour de 1717 feraient référence à une nouvelle grossesse de la princesse l'année suivante, cette fois peut-être des oeuvres de Riom. Le 21 mai 1717, la duchesse de Berry reçoit le Tsar de Russie au Luxembourg, d'après La Gazette de la Régence : « Mme de Berry y parut puissante comme une tour, quoique d'ailleurs belle et fraiche. ». Incommodée par son obésité, la princesse a renoncé à la chasse et vendu ses chevaux de selle. En date du 9 juillet 1719, la Gazette précise : « Mme la duchesse de Berry ne sort pas de la Muette, où elle est incommodée, devenant si puissante qu'il est à craindre qu'elle ne fournisse pas une longue carrière ici-bas. » Et, fin juillet, la rumeur court « que la duchesse de Berry étoit à l'extrémité : elle se délivroit d'un enfant » (E. de Barthélemy, op.cit, p. 180,192,196). Cette nouvelle grossesse « illicite » semble confirmée par Arouet qui en parle ouvertement devant un informateur de police, fin avril 1717, précisant que Madame de Berry est allée passer six mois à la Meute [la Muette] « pour y accoucher » Dans ses notes au Journal de Dangeau, Saint-Simon fait en date du 21 juillet 1719 un portrait de la Duchesse dans lequel il évoque sa liaison avec Riom et note : « Elle [Berry] en avoit heureusement dérobé une fille qui a vécu obscure jusqu'après sa mort et qu'elle voulait prendre chez elle. Elle ne se tira pas si bien d'affaire la seconde fois ; elle en pensa mourir à Luxembourg ». Cette fille « dérobée » serait donc née en juillet 1717, deux mois après la visite du Czar à laquelle assiste la duchesse, alors « grosse à pleine ceinture » et bien incapable de dissimuler entièrement son état, même si la mode de l'époque lui permettait de camoufler un arrondi trop révélateur... Vient ensuite un nouvel accouchement de la princesse début avril 1719 dans une petite chambre de son palais du Luxembourg, des couches très laborieuses et scandaleuses magistralement décrites par Saint-Simon. [Note de Anton Erecinski]
Raunié, II,37-38 - Clairambault, F.Fr.12696, p.51-52 (sauf la dernière strophe) - F.Fr.12673, p.253-54 - F.Fr.15131, p.127-29 - F.Fr.15136, p.217-18 - Arsenal 2930, p.221-24 - Arsenal 3115, f°160v-161r - Mazarine, MS 2163, p.317-19 - Mazarine Castries 3981, p.381 - Lyon BM, MS 1552, p.206-08 - Toulouse BM, MS 855, f°108r-109r
Sur une maladie qu'eut Mme de Berry à Paris. L'on écrit qu'elle était accouchée. (Arsenal 2390)