Le Procès du duc de la Force
Le procès du duc de la Force1
Le Parlement, toujours plein de justice
Et de bonté pour Nompar de Caumont,
Vient d’envoyer chez lui saisir l’épice2
,
Pour empêcher qu’il n’ait mal au poumon.
Ton le ronton ton, ton le ronton ton.
C’est un ingrat qui, loin de reconnaître
Ce que pour lui l’on a d’attention,
Suivi de gens qui l’appellent leur maître,
Défend l’épice et fait rébellion3
.
Le lendemain se fit une assemblée.
Parmi les ducs est Nompar de Caumont,
Qui tout d’abord, en cervelle troublée,
Interrompit monsieur de Lamoignon4
.
Alors, surpris, le président de Mesme
Lui dit tout haut : Monsieur, taisez-vous donc.
Pairs, conseillers, tous parlèrent de même ;
Chacun cria : Mettez qu’il interrompt.
Que ce vilain se retire, qu’il sorte ;
C’est de son cas dont il est question.
Et vous, huissiers, ouvrez vite la porte,
Et, s’il ne sort, qu’on le traîne en prison.
Ledit Nompar, avec mine funeste
Se retirant, s’exprime sur ce ton,
Disant : Je sors, messieurs, mais je proteste.
C’est à l’instar du petit Saint-Simon.
Étant dehors, on reprit l’audience.
Contre Nompar a requis Lamoignon5
,
Disant : Il faut punir son insolence.
Écoutez bien cette conclusion :
D’ajournement contre lui qu’on décrète.
Légère encore est la punition,
Et c’est ainsi, messieurs, qu’il faut qu’on traite
Qui, comme lui, fait malversation.
Tout d’une voix chacun dit qu’il approuve,
Qu’il est d’avis de la conclusion,
Hors un certain qui dans ce cas se trouve6
.
Il veut parler ; mais d’abord on répond :
Ton le ronton ton, ton le ronton ton.
- 1Autres titres: Pont-neuf (Clairambault) - Chanson au mois de février 1721 (Arsenal 2962)
- 2 Lors de la visite opérée dans une maison qui lui appartenait, rue Saint‑Dominique. (R)
- 3Marais raconte ainsi les faits : « On a fait une perquisition dans une maison qui appartient au duc de La Force, et où on dit qu’il y a un magasin de marchandises. Cela s’est fait de la part du lieutenant de police, qui y a envoyé deux commissaires du Châtelet en vertu d’une ordonnance générale qui permet de visiter tous hôtels, communautés et autres maisons pour découvrir les marchandises déposées. Cette maison est dans la rue Saint‑Dominique ; le duc de La Force y a son suisse et sa livrée, ses équipages et sa bibliothèque. On y est entré, on a visité tout, on n’a rien trouvé. Le duc de La Force, qui demeure rue Taranne, a été averti ; il est venu ; il a trouvé les commissaires en chemin qui revenaient dans un fiacre. On a parlé de carrosse à carrosse. Il a demandé l’ordonnance ; on la lui a donnée, il l’a lue et emportée au Palais‑Royal. Un de ses gens a un peu houspillé un des assistants et des commissaires Voilà le fait tel qu’il est dans un Mémoire des Ducs. » Mais il est probable que l’on voulait en atténuer la gravité, puisque Barbier prétend que le duc déchira l’ordonnance et qu’il y eut procès‑verbal de rébellion. (R)
- 4Le duc de La Force s’étant trouvé au Parlement voulut interrompre M. l’avocat général de Lamoignon, on lui imposa silence, on le fit sortir et il fut décrété d’ajournement personnel le 21 février 1721. (M.) — On lit à ce sujet dans le Journal de Barbier : « Hier vendredi, 21 février, les princes et ducs furent assemblés au Parlement non sur la première affaire du duc de La Force, mais sur la visite qui a été faite dans la maison qui lui appartient et où il a déchiré lui‑même l’ordonnance de M. Baudry, lieutenant de police. M. le duc de La Force était lui-même en habit de duc et pair à la grand’chambre. On ne savait pas de quoi il serait question ; on dit que quand M. de Lamoignon, avocat général, a parlé, M. le duc de La Force l’a interrompu une première fois, et que M. de Lamoignon lui a répondu qu’il n’y avait que le roi qui était en droit de l’interrompre, que nonobstant cela, M. le duc de La Force lui dit encore sur quelque chose que cela n’était pas vrai, et que M. le premier président dit : « Huissiers, faites sortir le duc de La Force », et qu’il était sorti. Ce qui est certain, c’est que d’un avis presque général sur cette affaire, il a été décrété d’ajournement personnel : ce qui l’interdit des fonctions d’honneur de duc et pair. On dit aussi qu’il a été décidé qu’il subirait l’interrogatoire debout, nu‑tête, sans chapeau et sans épée. » (R
- 5Georges de Lamoignon de Blancmesnil (1683‑1772) fut successivement avocat général, président à mortier au Parlement, premier président de la Cour des Aides (1746) et chancelier (1750).
- 6Le duc d'Antin.
Raunié, IV,19-21 - Clairambault, F.Fr.12698, p.44-45 - Maurepas, F.Fr.12630, p.375-77 - Maurepas, F.Fr.12632, p.6 - Arsenal 2962, p.133-35 - Arsenal 3231, p.612-15 - BHVP, MS 670, f°79r-79v