Sans titre
Du plus beau sang des rois la Mort insatiable1
Allait trancher les jours
D’un prince généreux autant que respectable
Au plus beau de son cours.
Pallas, qui le protège, arrête l’homicide
Et lui tient ce propos :
« Cruelle téméraire, es-tu toujours avide
Du sang de mes héros ?
Oses-tu t’attaquer à celui de la Gloire
Et de moi secondé ?
Sais-tu sur qui, sans moi, tu prétends la victoire ?
Sur le sang de Condé ! »
A cet auguste nom, ce monstre, plein de rage,
Abandonne ces lieux,
Et Pallas dans le ciel adresse ce langage
Au souverain des dieux :
« Condé, qui parmi nous a mérité sa place
Par de fameux exploits,
Laisse en proie à la Mort une divine race
Qui doit subir ses lois.
Mais quoi ! permettrez-vous à cette hydre barbare
Par un commun trépas,
D’enlever des héros qu’un mérite si rare
Fait marcher sur mes pas ? »
Jupiter lui répond par cette loi sévère :
« Tout mortel doit passer.
Même le sang des dieux que partout l’on révère
Ne peut l’en dispenser.
Le petit et le grand doivent ce sacrifice,
Mais en votre faveur
Des décrets du destin, par un arrêt propice,
J’adoucis la rigueur.
Des héros destinés à la fleur de leur âge
Pour payer à la Mort,
Dans le champ du dieu Mars, un généreux courage
Terminera le sort. »
Ce bonheur pour Condé promis à la déesse
Contente tous les dieux.
Mars, Minerve, Apollon, de leurs chants d’allégresse
Font retentir les cieux.
Apollon, enchanté d’une telle promesse,
En fait part aux neuf Sœurs,
Et ma muse aussitôt, s’échappant du Permesse,
Me fait mêmes faveurs.
Elle se montre à moi pendant que je sommeille
Et m’apprend ce secret.
Je vous l’apprends aussi, sitôt que je m’éveille,
Peut-être en indiscret.
- 1« M. Gabriel, capitaine de dragons, a fait donner au prince les vers que vous allez lire. Son Altesse sérénissime en a été si contente qu’elle l’en a remercié par une si obligeante lettre de sa main qu’elle devient un vrai trésor pour lui. » (Nouveau Mercure) (R)
Raunié, II,83-85