La mort du cardinal Dubois
La mort du cardinal Dubois
Le ciseau de La Peyronie1
Vient donc de délivrer l’État
De ce ministre scélérat,
Naguère l’objet de l’envie,
Des fripons l’unique soutien2
,
Et l’ennemi des gens de bien.
Quoique la Gazette débite
De ses faits, de ses dignités3
Et de ses rares qualités4
,
Elle prouve moins son mérite
Que l’étrange dérangement
De la cervelle du Régent.
Son genre de mort justifie
Ce qu’on a pu dire de mal
De cet infâme cardinal,
De ses débauches, de sa vie ;
Mais son disciple et successeur5
Pour nos péchés n’est pas meilleur.
Bissy doit faire son éloge
Et malgré ses vices affreux,
Dans le séjour des bienheureux,
Lui donner la première loge,
En nous prouvant qu’un cardinal.
Quoi qu’il fasse ne fait pas mal.
Puis d’un style épigrammatique,
Fontenelle ou quelque autre fat,
De cette peste de l’État
Nous vantera la politique6
;
Mais le public nous vengera
Des fadeurs qu’il débitera.
Pour tout dire en une parole,
Messieurs les grands diseurs de rien,
De votre académicien
Voici l’éloge : La Vérole
De Dubois en tranchant les jours,
Nous fut à tous d’un grand secours7
.
- 1Il mourut le lendemain de l’opération que lui fit La Peyronie, en lui retranchant les parties naturelles qu’il avait pourries et gangrenées. (M.) « Le cardinal Dubois mourut d’un ulcère dans l’urètre, suite de ses débauches. Il trouva un expédient pour n’être pas fatigué dans ses derniers moments par les pratiques de la religion catholique dont jamais ministre ne fit moins de cas que lui. Il prétexta qu’il y avait pour les cardinaux un cérémonial particulier, et qu’un cardinal ne recevait pas l’extrême-onction et le viatique comme un autre homme. Le curé de Versailles alla aux informations, et, pendant ce temps Dubois mourut, le 10 auguste 1723. Nous rîmes de sa mort comme de son ministère — tel était le goût des Français habitués à rire de tout. » (Voltaire.) (R)
- 2Marais, plus équitable, reconnaît que Dubois « n’aimait point les fripons ni les flatteurs ». (R)
- 3Voici, d’après la Gazette de France du 14 août 1723, la nomenclature des titres du défunt cardinal : « Guillaume Dubois, cardinal‑prêtre, archevêque‑duc de Cambrai, prince de l’Empire, comte de Cambrésis, abbé de Saint-Just, de Nogent‑sous‑Coucy, de Bourgueil, d’Airveaux, de Cercamps, de Bergue‑Saint‑Vinox et de Saint‑Bertin de Saint‑Omer, principal et premier ministre d’État, ministre et secrétaire d’État ayant le département des Affaires étrangères, grand maître et surintendant général des courses, postes et relais de France, l’un des Quarante de l’Académie française, honoraire de l’Académie royale des sciences et de celle des inscriptions et belles‑lettres, élu par les prélats et autres députés à l’assemblée du clergé de France pour en être premier président, et ci‑devant précepteur du duc d’Orléans. » (R)
- 4La Gazette conclut en ces termes son article nécrologique : « L’heureux succès des différentes négociations dont le cardinal Dubois a été chargé, la grande réputation et le crédit qu’il s’est acquis dans les pays étrangers et la confiance dont le roi a honoré sa personne, seront des témoignages éternels de l’étendue de son génie, de sa capacité dans les affaires, et de son zèle infatigable pour le service de S. M, et pour la gloire de l’État. » (R)
- 5Le Régent. (M.) (R)
- 6Fontenelle fit son éloge à l’Académie. (M.) — « Son oraison funèbre est toute faite dans le discours de Fontenelle à l’Académie, lorsqu’il y fut reçu », remarque Marais, et la Vie privée de Louis XV rappelle que l’on entendit alors l’académicien courtisan dire au récipiendaire : « Vous vous souvenez que mes vœux vous appelaient ici longtemps avant que vous y puissiez apporter tant de titres : personne ne savait mieux que moi que vous y auriez apporté ceux que nous préférons à tous les autres. » (R)
- 7« On lui fit de magnifiques funérailles ; on frappa même une médaille en son honneur. D’un côté était son effigie, de l’autre un arbre renversé par la tempête avec ces mots à l’entour : Visa est dum stetit minor. La licence lui composa une épitaphe grossière, bien différente, et il méritait l’une et l’autre. Il est certain qu’à ne considérer que les moyens de son élévation, c’était un personnage méprisable et infâme. En discutant les talents qu’il y développa, c’était un véritable homme d’État. Le Régent ne trouva personne plus digne de lui succéder que lui-même, ce qui mit le comble à son éloge à cet égard. » (Vie privée de Louis XV.) (R)
Raunié, IV,238-41 - Clairambault, F.Fr.12699, p.53-54 - Maurepas F.Fr.12631, p.93-94