Aller au contenu principal

Epitaphe du cardinal Dubois

Épitaphe du cardinal Dubois1
Ci-gît un cardinal dont la naissance obscure
Semblait former obstacle aux emplois éclatants ;
Mais son esprit fécond et ses rares talents
De l’aveugle destin réparèrent l’injure.
Ministre, il ne forma que de justes projets ;
Par de nouveaux traités il confirma la paix ;
La Discorde en frémit ; et, malgré sa colère,
Le flambeau de l’Hymen dissipa les vapeurs
Qu’entretenait encor cette affreuse mégère
Dans les esprits et dans les cœurs.
Il épargna le sang que coûte la victoire
Et ménagea si bien nos anciens rivaux
Qu’il les fit convenir que la solide gloire
Se trouve à conserver un illustre repos.
Vous, qui sur son tombeau considérez peut-être
L’éclat des dignités qu’il reçut ici-bas,
Que votre attention vous fasse au moins connaître
Le vide renfermé sous leurs brillants appas.
Mais vous, dont les discours profanes
Pourraient en ce lieu saint inquiéter ses mânes,
Tremblez et n’en approchez pas2 .

  • 1Épitaphe en contre‑vérités. (F.Fr.9352)
  • 2L’avocat Barbier avait bien raison de constater que « le petit peuple disait des sottises infinies de ce pauvre cardinal », car jamais ministre ne fut plus mal jugé par ses contemporains que Dubois. Un seul nous paraît avoir gardé dans ses appréciations une mesure équitable, c’est l’auteur anonyme de la Vie de Philippe d’Orléans, dont le témoignage mérite d’être cité. « A en croire, dit‑il, les satires, les chansons, les estampes même qui parurent en foule, il n’avait ni religion, ni probité, ni honneur, ni sentiment d’humanité ; il n’avait même aucune espèce de mérite et était absolument incapable des emplois qu’on lui confiait ; toujours il avait vécu dans la débauche, sans avoir jamais su ce que c’était que l’amour, et ses débauches étaient de toute espèce. Le jour qu’il fut fait prêtre fut le jour de sa première communion, et, ce qui était en un sens encore pis que tout cela, on le chargeait de tout le mal dont on avait l’audace d’accuser son maître… L’équité demande que je réforme cet odieux portrait… Son tempérament était tout de feu ; non seulement il avait de l’esprit, mais c’était un génie ; ses négociations, dont lui seul avait le secret et la direction, en font foi et avoir entrepris de le décrier de ce côté‑là, c’était déclarer sa haine de manière à n’être point cru sur tout le reste. A l’esprit excellent il joignait une application constante et un travail opiniâtre ; jamais homme, peut‑être, n’a tant travaillé qu’il le fit depuis qu’il fut devenu le seul homme de confiance de M. le Régent. Pour ce qui regarde les qualités du cœur, il ne fut ni cruel ni vindicatif ; il n’en voulut jamais qu’aux ennemis du duc d’Orléans ; encore toute sa haine se borna‑t‑elle à les empêcher de nuire, plutôt qu’à leur faire des maux réels. Je voudrais pouvoir le justifier sur les autres reproches, mais il est certain qu’il ne parut jamais avoir un grand fonds de religion, et que ses mœurs ne convenaient guère aux dignités ecclésiastiques qu’il ambitionna. » (R)

Numéro
$0549


Année
1723




Références

Raunié, IV,251-52 - F.Fr.9352, f°17r