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La vanité de Dodun

La vanité de Dodun1

Air: Mariez-moi2

Dodun dit à son tailleur3 ,
Marquis d’Herbaut je me nomme.
Je veux être en grand seigneur
Habillé4 , et voici comme :
Galonnez, galonnez, galonnez-moi,
Car je suis bon gentilhomme.
Galonnez, galonnez, galonnez-moi,
Je suis lieutenant du roi.

Air : Confiteor

Cela suffit, dit le tailleur,
N’épargnons rien pour cette emplette ;
Je comprends bien que Monseigneur
Veut la chamarrure complète.
A la cour on l’admirera
Et à la ville on chantera :
Galonnez, galonnez, galonnez-moi,
Je suis lieutenant du roi.

 

Air : Dupont, mon ami5

Dodun, mon ami,

qui t'a fait si brave?

Tu n'as pas l'habit d'un ministre grave

voudrais-tu briguer quelqu'emploi

dans les mousquetaires du Roi?

 

Oui, dit sa chère moitié,
Et contrôleur des finances,
Ma foi ! c’est un bon métier,
Des meilleurs qui soient en France,
Galonnez, galonnez, galonnez bien,
 Car nous aimons la dépense ;
Galonnez, galonnez, galonnez bien,
Un habit comme le sien.

Air : Mariez-moi

Mon cousin, dit le tailleur,
Il n’est point de gentilhomme
Qui ait l’air de grand seigneur
Comme aura votre personne.
Galonnez, galonnez, galonnez-vous,
Votre aïeul si galant homme,
Galonnez, galonnez, galonnez-vous,
Portait galons comme vous.

La Dodun dit à Frison6 :
Coiffez-moi avec adresse,
Je prétends avec raison
Inspirer de la tendresse.
Tignonnez, chignonnez, bichonnez-moi,
Je vaux bien une duchesse,
Tignonnez, chignonnez, bichonnez-moi,
Car je soupe avec le roi7 .

Ma foi, lui répond Frison,8
Quoiqu’à friser je me tue,
Malgré votre beau chignon,
Vous ne serez point courue.
Tignonnez, bichonnez, moutonnez bien,
Ce sera peine perdue,
Tignonnez, bichonnez, moutonnez bien,
Sans argent, vous n’aurez rien.

Certain soir, en sa gaîté
Voulant qu’on rendît hommage
A ses occultes beautés9 ,
Dit : laissez là mon visage ;
Mais troussez, mais troussez, mais troussez-moi,
Et vous trouverez, je gage,
Mais troussez, mais troussez, mais troussez-moi
Et vous trouverez de quoi.

Aussitôt le gai Dodun
Leva sa cotte légère,
Et fit voir à un chacun
La croupe de sa bergère10 .
Convenez, convenez, convenez donc
Que c’est Vénus par derrière,
Convenez, convenez, convenez donc
Que c’est un vrai Cupidon11 .

Dieux que l’épouse a d’attraits !
Que l’époux a l’âme bonne !
Que le ciel de ses bienfaits
Comble à jamais leurs personnes !
Tignonnons, galonnons, bichonnons-les,
Puisque chacun d’eux l’ordonne,
Tignonnons, galonnons, bichonnons-les,
Le peuple en fera les frais.

 

Il ne faut plus que je sois12
Vêtu d’une façon mince.
Je m’en vais bientôt à Blois
Me montrer à ma province.
Galonnez, galonnez, galonnez-moi,
Galonnez-moi comme un prince,
Galonnez, galonnez, galonnez-moi,
Je suis lieutenant de Roi.

Pour moi chez un fourbisseur
Faites choix d’une rapière
Surtout pour me faire honneur
Par devant et par derrière
Galonnez, galonnez, galonnez-moi,
Non pas comme mon grand-père,
Galonnez, galonnez, galonnez-moi
Comme un lieutenant de Roi.

À Dodun dit Lévignan
Mon neveu13 prenez ma brette
Et qu’en échange à présent
Votre noir manteau je mette.
Fagotez, fagotez, fagotez-moi
En président des enquêtes.
Fagotez, fagotez, fagotez-moi
Et soupez avec le Roi14 .

Rit-on de son air hautain,
De sa mine fière et rogue,
Tout aussitôt le faquin rit pour excuser sa morgue
J’ai l’honneur, j’ai l’honneur, j’ai l’honneur, moi
Malgré ma face de dogue
J’ai l’honneur, j’ai l’honneur, j’ai l’honneur, moi
De souper avec le Roi.

La Dodun dans sa gaieté15
Voulant qu’on rendît hommage
À son antique beauté
Dit : laissez-là mon visage
Mais troussez, mais troussez, mais troussez-moi
Et vous trouverez, je gage,
Mais troussez, mais troussez, mais troussez-moi
Et vous trouverez de quoi.

  • 1 - Charles Gaspard Dodun, marquis d’Herbaut (1679-1736) fut successivement conseiller au Parlement de Paris, à la quatrième Chambre des enquêtes, président de la même Chambre, intendant de Bordeaux, maître des requêtes de l’hôtel du roi, et contrôleur général des finances le 21 avril 1722. (R)
  • 2Les timbres sont indiqués par Arsenal 3116.
  • 3Il était président à la Quatrième des Requêtes, d’une famille de gens d’affaires peu illustre. Il a commencé dans la Régence à entrer dans les finances. Quand M. le Régent permit à M. de la Houssaye de se retirer, il le mit à sa place. Il a beaucoup gagné en trois ou quatre ans et a fait ériger la terre d’Herbault en marquisat. Comme tout le monde, mangeant avec le Roi à Fontainebleau, au dernier voyage il donna 100 000 # à Mme de Prie pour lui procurer cet honneur ; mais comme on dit qu’il n’était pas noble, le Roi lui mit l’épée au côté.
  • 4« Il est arrivé une aventure divertissante à la cour. M. Dodun, contrôleur général des finances et puissamment riche, a acquis le marquisat d’Herbaut, proche Orléans, et la charge de lieutenant du roi d’Orléans. Cela lui a paru trop bourgeois de rester un homme de robe, surtout ayant le cordon bleu ; il a pris l’épée, s’est fait appeler M. le marquis d’Herbaut, et, entre autres choses, il s’est fait galonner un habit, ni plus ni moins qu’un habit d’un officier des gendarmes. Cela a paru si ridicule qu’on n’a pas pu y tenir. Il est fort haï. On a recherché l’origine du sieur Dodun, et on a trouvé que son grand-père avait été laquais ; et, enfin, on a fait des chansons sur lui et sur M. Dodun, qui ont été chantées jusque par les décrotteurs. Mme Dodun en a été huit jours sans dormir. » (Journal de Barbier.) (R)
  • 5Ce couplet ne se trouve que dans Arsenal 3116.
  • 6« Le fameux Frison, qui avait été laquais, frisait fort bien. Toutes les femmes de la cour l’appelaient et ne voulaient confier qu’à lui leur tête ; il avait réellement un talent supérieur qu’il avait formé chez Bligny… Il est devenu un homme important, remarquable par ses saillies pleines de simplicité et de mérite. » (Mémoires de Maurepas.)
  • 7Elle soupa un jour du carnaval à Marly avec le Roi. (M.) (R)
  • 8Autre rédaction dans Arsenal 3116 : Frison lui a répondu / Foin de votre chevelure / Plus s'en est jamais vu / Qui tiennent moins la frisure
  • 9A toutes ses autres beautés (Arsenal 3116)
  • 10On dit que M. Dodun, soupant un soir avec ses amis et voulant caresser sa femme devant la compagnie, elle se défendit, et qu’il la prit malgré elle et lui troussa ses jupes par derrière devant le monde. (M.) (R)
  • 11Que c’est Vénus par le con. (Castries) - Que c'est Vénus au croupion (Arsenal 3116)
  • 12Les couplets qui suivent ne se trouvent que dans Castries. Ils sont d’ailleurs dispersés en grand désordre dans la suite ordinaire du texte.
  • 13Mon cousin (Arsenal 3116)
  • 14Je renonce au souper du Roi (Arsenal 3116)
  • 15Ce dernier couplet est consacré à Mme Dodun.

Numéro
$0591


Année
1725 (Castries)




Références

Raunié, V,32-35 - Clairambault, F.Fr.12699, p.175-77 -Maurepas, F.Fr.12631, p.233-35 -  F.Fr.9351, f°266v (première strophe) - F.Fr.9352, f°1r-2v - F.Fr.12674, p.25-34 regroupe $591, $592, $593, formant un pot-pourri avec différents airs (Mariez-moi / Confiteor / Dupont, mon ami) -F.Fr.10285 (Barbier), f°34 -  F.Fr.13656, p.15-17 - Arsenal 2930, p.464-71 - Arsenal 3116, 45v-47r -BHVP, MS 658, p.15-18 - Mazarine Castries 3984, p.9-15 - Toulouse BM, MS 855, f°201r-204r - Marais, II, 814-15


Notes

Titre de Arsenal 3116: Pot-pourri sur M. Dodun, contrôleur général. De fait, il est le seul, avec F.Fr.12674, à indiquer des timbres.