Concile d'Aix
Concile d’Aix
Le Diable un jour méditant sur la Bulle,
Disait ces mots : au décès de Louis
Qu’ai-je gagné ? Nul encor ne recule.
Nos gens se sont follement réjouis.
Comme jadis, on écrit, on raisonne
Contre Quesnel et tous ses sectateurs.
Il est bien vrai que de Dame Sorbonne
Sous mes drapeaux j’ai rangé les Docteurs.
Par Belzébuth ! quelle pauvre milice !
Je ne me fie à si mauvais soldats
Et toutefois il faut entrer en lice
Avec le pape et plus de cent prélats,
Pour seconder le zèle de Noailles.
Ma foi, je n’ai que de sottes canailles,
Sexe chétif et débile cervelet,
Petits abbés sans tête et sans bréviaire
Et tout au plus pour frapper le vulgaire
Moines à froc, ou moines à rochet
Et beaux parleurs portant demi-collet.
Mieux me vaudrait avoir des porte-mitres,
Quatorze sont de Quesnel avoués
Que volontiers j’admets à mes chapitres.
Mais que me sert un si faible secours
Pour résister aux anti-queneslistes ?
La Bulle, hélas, s’éclaircit tous les jours
Grâce aux écrits des ardents molinistes ;
On les entend crier comme des fous :
Cédez, cédez, superbes jansénistes ;
Ouvrez les yeux et voyez avec nous
Toute l’Église aujourd’hui contre vous,
Tous les pasteurs de Pologne, d’Espagne,
De Portugal, de Flandre, d’Allemagne,
Tous sont unis au pontife romain
À qui vous seuls vous résistez en vain.
Vos gens au fond sont de bons hérétiques.
Il faut pourtant les faire catholiques.
Comment cela ? Donnons-leur des prélats
Dont leur cabale en tout lieu s’autorise
Pour éluder les arrêts de l’Église.
Cherchons partout : en Flandre, aux Pays-Bas,
Dans la Bohême, en Hongrie, à Venise,
Par tout le monde, hélas, je n’en vois point.
Que faire donc ? Par secrets diaboliques
Faut transformer en prélats des laïques
Accoutumés à juger sur la Loi,
Qui volontiers jugeront sur la Foi,
Pour soutenir mes enfants schismatiques
Dont je pressens le honteux désarroi,
Faisons jouer tous les ressorts magiques.
Ainsi parla le Diable protestant ;
Puis en Provence alla tout à l’instant
Comme pays plus facile à surprendre,
Ne sais pourquoi. D’abord il va descendre
Chez un quidam nommé Gaufridi,
Grand magistrat, entreprenant, hardi,
Au demeurant je crois très honnête homme,
Lui mit en tête un projet étourdi
De renverser l’autorité de Rome,
D’exagérer nos droits, nos libertés,
De supprimer les écrits catholiques
Et d’appuyer les dogmes sorboniques ;
Bref, s’empara de ses sens enchantés.
Toute la nuit le magistrat compose
Un plaidoyer de poétique prose
Et se trouva le Diable à ses côtés
Pour lui souffler lorsque plaida sa cause.
Quand l’orateur eut ainsi prononcé
Avec chaleur son discours insensé,
Le Diable alors qui, selon le vulgaire,
Par un trait noir se plaît à contrefaire
La Sainte Église en tous ses rituels,
Fit un sabbat de toute l’audience
Et des sorciers de toute la séance.
Les tribunaux sont changés en autels
Et tous les sacs transformés en missels ;
Les sénateurs comme en un jour de fête
Semblaient au chœur un chapitre arrangé.
Soudain le Diable avec la mitre en tête
Pose les mains sur son nouveau clergé
Et sans garder les formules prescrites
Vous les ordonne évêques fanatiques
In partibus. Aussitôt les voilà
Mitrés, crossés, pourtant rochet et chape.
Rien ne manquait que les bulles du pape.
Lors en ces mots le Diable leur parla :
Nouveaux prélats qui me devez ce titre
Quand j’ai changé votre bonnet en mitre
Et votre robe en habit violet
Et rétréci votre large collet,
J’ai prétendu pour seconder mon zèle
M’associer une troupe fidèle
Qui de la Bulle attaquant les erreurs,
Du Vatican braverait les fureurs.
À ce discours la cohorte docile
Se donne au Diable avec mille serments.
L’esprit malin s’empare du concile,
On y proscrit les sacrés documents,
On y censure écrits et mandements,
Le Pape même et sa Bulle futile
Ainsi s’accrut le nombre des pasteurs
Qui de Quesnel soutiennent l’Évangile.
Qui ne rirait de ces vains sénateurs
Par art magique érigés en docteurs,
Traitant la foi comme affaire civile
Et condamnant par arrêt de Satan
Toute l’Église avec le Vatican ?
Voilà le fruit du nouveau stratagème.
Qui n’en rirait ? Le Diable en rit lui-même.
Tocsins catholiques (1718), t.I, p.592-94
Poème écrit à partir d’un épisode obscur, survenu à Aix-en-Provence et impliquant un parlementaire (Gaufridi). Mais le texte est si maladroitement conçu qu’on ne sait trop s’il s’en prend aux jansénistes ou aux molinistes.