Dialogue de paysans avec le maître du village
Dialogue de paysans
avec le maître du village
Gros Jean
Notre curé est en émoi.
Pouvez-vous nous dire pourquoi,
Vous, magister qui savez lire.
Le magister
Gros Jean, il n’y a pas à rire.
Le pape et les évêques itou
Sont tous prêts à devenir fous.
Il paraît, à ce que l’on dit,
Que du pape un certain écrit
Condamne bien de saintes âmes
Et défend à toutes les femmes
De prier Dieu, leur céateur,
Qu’en latin, de bouche et par cœur.
Les gens de bien sont barbouillés
Et les savants bien embrouillés.
Qui s’en moque, ce sont les jésuites
Qui font partout les chattemites.
Le Roi les prend pour gens de bien,
Mais on dit qu’ils ne valent rien.
Ils veulent qu’on pende Quesnel
Qui damne le péché mortel
Dans un livre si formidable
Qu’il fait, dit-on, fuir le Diable.
Mais eux vendent dans leurs écrits
A bon marché le paradis.
Ils sont tout prêts à faire du mal
A Monsieur notre cardinal,
Mais ils sont au désespoir comme
Il demeure si honnête homme
Qu’il croit en article de foi
D’aimer son Dieu plus que son Roi.
Gros Jean
Que veulent-ils donc en un mot ?
Qu’auprès d’eux chacun soit un sot ?
Le magister
Mettant la grâce en une trappe
Qui ne s’ouvre que par le pape
Pour n’en donner qu’à lèche-doigt,
A qui leur déplaît, même au Roi.
Colin
Quoi, les rois souffriront cela !
Lucas
Morgué, je ne suis qu’un pied-plat.
Le magister
Crois-moi, ils en feront bien d’autres,
Va, va, ce sont de bons apôtres
Et qui font des rois bien choisis
Car ils les sauvent gratis.
Ils disent au Roi : Étrillez
Tous vos peuples, prenez, pillez.
Ce sont brebis bonnes à tondre.
Pour nous seuls la poule doit pondre.
Nous prêcherons en temps et lieu
Ce que pour nous nous a dit Dieu.
Miché
Le Roi vient de faire un million,
Dit-on, de constitution,
En ce comme celle du Pape.
Le Magister
Chut, de peur qu’on ne le happe.
Je n’entends cela qu’à demi
C’est-à-dire queci queci.
Clairambault, F.Fr.12695, p.383-85 - Maurepas, F.Fr.12627, p.341-44 - F.Fr.12796, f°53r-54r - BHVP, MS 551, p.98-100