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Dialogue entre Voltaire et Jean-Baptiste Rousseau

                            Voltaire1

                                         N’êtes-vous pas Rousseau ?

 

                            Rousseau

C’est mon nom, je le suis, n’êtes-vous pas Voltaire ?

 

                            Voltaire

Je suis Monsieur pour vous, mon petit Damoiseau.

Apprenez que je suis gentilhomme ordinaire,

Poète sans égal, historien du Roi.

Le mensonge et l’erreur dont soumis à ma loi ;

Je puis quand il me plaît obscurcir l’évidence ;

Aux faits les plus douteux donner la vraisemblance

L’ombre de Richelieu réclame vainement

La gloire d’avoir fait un certain testament ;

Je méprise en ce point la créance publique

Tout ce que je soutiens doit être sans réplique.

 

                            Rousseau

Oh ! vous me permettrez de répliquer un mot

Vous oubliez encor que vous êtes un sot

Car enfin, être un sot, c’est faire des sottises,

Et vous en avez fait, parbleu, des plus exquises.

Vous me dispenserez d’en faire le détail,

On compterait plutôt les filles du sérail.

Un héros tel que vous est connu dans l’histoire

On peut s’en rapporter aux filles de Mémoire.

 

                            Voltaire

Qu’entends-je ? Est-ce l’Enfer avec son attirail ?

Rentrez dans le néant, atome du Parnasse ;

Pour le petit Rousseau, c’est montrer trop d’audace.

Ce nom fut de tout temps funeste à mes succès ;

Mais du moins le premier mérita tous mes traits.

Il a senti tous mes coups l’hypocrite, le traître,

Mes pareils à deux fois ne sont pas connaître ;

Il porte la vengeance au-delà du trépas

Et la nuit du tombeau n’en garentirait pas.

Tremblez, petit Rousseau.

 

                            Rousseau

                                      Tout autre que Voltaire

Aurait pu m’effrayer, mais vous m’avez appris

De ce noble courroux quel doit être le prix.

 

                            Voltaire

Gardes, vous l’entendez, ce fou, ce téméraire.

Emparez-vous de lui, vite, saisissez-moi…

Quoique mon cœur bénin se soit fait une loi

De ne jamais tirer cette lame funeste,

Je sens dans ce moment tous les transports d’Oreste,

Dans le trouble où je suis, je serais dangereux

Et j’aurais le malheur d’aller contre mes vœux.

 

                            Rousseau

Gardes, ne craignez rien ; son âme est pacifique,

Son dépit, sa fureur n’est qu’un feu poétique

Qui, partant du cerveau sort en exhalaisons

Et s’en va tout au plus aux Petites-Maisons.

 

                            Voltaire

Gardes, public, exempts, je demande justice ;

Qu’on traîne l’insolent au juge de police ;

Du Salomon du Nord l’illustre favori

Être ainsi maltraité par une vile engeance…

À Berlin il irait du moins au Piroli.

On est trop indulgent dans ce pays de France ;

D’Arnaud, Molière et moi, assemblez vos amis,

Généreux protecteurs de ma Sémiramis,

Confondez, étouffez par vos fréquents suffrages

Les jaloux de ma gloire et de mes avantages.

Gardes, public, exempts, qu’on ôte de mes yeux,

Les Rousseau, les Fréron et tous mes envieux.

 

                            L’Exempt

Messieurs, vous auriez dû par respect pour vous-même,

Modérer les transports d’une folie extrême.

Le sage magistrat qu’on vient de réclamer,

En blâmant vos excès, exigera cédule

Que vous vous engagiez, sinon à vous aimer,

Du moins en apparence et vous mieux estimer.

Mais il vous restera toujours un ridicule.

Vos clameurs ont troublé les cœurs et les esprits.

Vous n’avez enfanté tous deux qu’une souris.

  • 1Scène seconde du 4ème acte de la Voltairomanie dont on refait actuellement les trois premiers et corrige le cinquième. La scène est dans la la salle de la Comédie-Française.

Numéro
$7187


Année
1750




Références

Clairambault, F.Fr.12720, p.53-54-6 - F.Fr.10478, f°409-10 - F.Fr.15153, p.317-24 - BHVP, MS 661, f°10v-11r