Desmarets, évêque de Chartres
Desmarets, évêque de Chartres
Ici dessous gît un prélat1 ,
Fort grand homme par sa stature,
Mais qui d’un véritable fat
Avait tout l’air et la figure,
Ou si vous aimez mieux d’un cuistre ou d’un pied-plat.
De courts cheveux, mais assez sales,
Epais comme crins de cavale
Couvraient son prolixe minois.
Il les tenait en tapinois
Sous certain chignon
Parallèle à l’horizon,
Disons mieux en tutelle
Sous sa calotte de flanelle
Qui se terminait au menton.
Il avait pris pour modèle et façon
Celle que porte le bonhomme
Qui se fait adorer à Rome
Ses yeux couverts d’une épaisse paupière
Ne lançaient qu’une œillade fière
Si l’objet n’était à leur gré
Car ils avaient double visière.
De son nez on aurait pu faire
L’aiguille d’un cadran solaire
Car il était droit et pointu.
Sauf respect à la prélature
Je ne vis jamais sa figure
Sans penser à maudire le ciel.
Il avait la face aussi blême
Que s’il eût jeûné le carême.
Mais de ce teint la livide pâleur
A la plus noire couleur
N’atteignait pas encore
Et seulement était façon de More,
Lorsque dans le séjour de l’extrême noirceur
La mort l’a fait enclore.
Aux dépens d’un menton allongé,
Un front plat était mal forgé.
Au lieu de joues une charpente étique
Tout cela fit sa mine évangélique.
Bref autrefois en quantité
De son portrait on a fait des empreintes.
De chacun il fut acheté,
Excepté des femmes enceintes.
Tu peux voir aisément si j’ai bien imité.
De son esprit reste à faire l’éloge.
Ci-dessous donc un prélat loge
Qui disait le oui et le nom
Comme il plaisait à Maintenon.
Créature de cette femme,
N’avaient tous deux qu’une même âme,
Tous deux cachant un double cœur
Sous un pieux extérieur.
Hautain, entreprenant, austère pour les autres
Il tenait en tyran la place des apôtres,
Tout droit, tout privilège et tout religieux
Insupportable à ses aïeux.
Son injuste puissance
Ne lui servit qu’à la vengeance.
Dans son diocèse à jamais
On en ressentira les traits.
Il paraissait aimer la tribu triconique
Mais c’était pure politique.
Les bons pères aussi
De leur côté faisaient ainsi.
Quoi, Desmarets n’était pas moliniste ?
Nullement. Quoi donc, janséniste ?
Encor moins puisqu’au paradis
S’étant faufilé par surprise
Avant qu’on l’aperçut il sortit par méprise
Dès qu’il y vit Arnauld être en si belle mise,
Et bien l’en prit de dénicher
Car après lui fallait lâcher.
Comment après la mauvaise bête
Nombre de saints dont il ôta la fête
Car il détruisit leurs chapelles
Pour loger ses chevaux,
Ses mulets et ses haridelles
Si saint Bacher surtout l’eût trouvé sous sa main
Ah, certes, il l’eût mené bon train !
Car on a trouvé fort étrange
Qu’il fit de son autel un pressoir à vendange.
Mais au sortir de là, qu’est-il devenu ?
Peut-être est-il en purgatoire
Ou plutôt dans la chambre noire ;
Le mystère n’est pas connu.
D’ailleurs que nous importe en quel endroit il aille ?
Dites pourtant par charité,
Quoiqu’il ne l’ait pas mérité,
De profundis à tout coup vaille.
- 1Le manuscrit porte en en-tête : Desmarets, évêque de Chartres. Or s’il existe bien deux évêques nommés Desmarets, aucun de deux deux ne fut évêque de Chartres. Qui choisir de Jacques Desmarets (1655-1725) évêque de Riez (1685-1713) puis archevêque d’Auch (1713-1725), qui accepta la Bulle à l’assemblée des évêques du 16 octobre 1713 ? Ou de Vincent-François Desmarets (1657-1739), évêque de Saint-Malo (1702-1739), longtemps proche du cardinal de Noailles, qui ne se soumettra que très tard à la Bulle ? Il eut par ailleurs des relations exécrables avec son chapitre, marquées d’interminables procès. Le portrait au vitriol du poème ne permet pas de trancher. - Par ailleurs, les quatre premiers vers ont donné matière, plusieurs générations plus tard, à $2973 qui se présente comme un portrait de… Christophe de Beaumont, archevêque de Paris.
F.Fr.15143, p.1-7 - BHVP, MS 639, p.1-7 - BHVP, MS 659, p.1-6