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La Mort de la Dauphine

La mort de la Dauphine1
Muses, qui consacrez les vertus magnanimes
Sur l’immortel airain de vos fastes sublimes,
Inspirez-moi des vers lugubres et touchants ;
Accordez vos soupirs à mes plaintes funèbres,
Et prêtez à ma voix pour ces mânes célèbres,
Toute la douceur de vos chants.

O vous ! Peuple français, et vous, tristes Ibères,
Donnez un libre cours à vos larmes sincères,
Déplorez tous ensemble un sort si rigoureux !
Candeur, douce innocence, accourez sur ces rives,
Secondez nos regrets ; et vous, grâces plaintives,
Élevez des cris douloureux.

Thérèse, tu n’es plus !… Quoi ! princesse adorable !
Au printemps de tes jours, la Parque impitoyable
A sa fureur avide immole tes appas !
Qui de nous eût pensé que sa main infidèle,
Dans les premiers transports d’une chaîne nouvelle.
Creusait le tombeau sous tes pas ?

O caprice du sort, ô funeste journée !
Nous venions de bénir ton heureux hyménée ;
Tranquilles sur la foi de ta fécondité,
Ton destin nous offrait la plus douce espérance,
Et tout semblait nourrir l’aveugle confiance
Dont notre cœur était flatté.

Mais quel affreux revers ! la pâleur t’environne ;
Tes beaux yeux sont éteints, la chaleur t’abandonne,
C’en est fait : cet instant va terminer ton sort ;
Le ciel, sourd à nos cris, demande une victime,
Et son arrêt, aux pieds de ce trône sublime,
Te livre au glaive de la mort.

Ainsi donc le destin, malgré tant de sagesse,
Malgré le vif éclat dont brillait ta jeunesse,
T’enlève tout à coup du trône au monument !
Les dieux, dans leurs bontés, inconstants ou barbares,
N’offrent-ils à nos yeux leurs trésors les plus rares
Que pour les ravir a l’instant ?

N’accusons point les dieux d’une injuste puissance ;
De leurs desseins cachés la profondeur immense
Saura toujours tromper nos regards indiscrets ;
Une éternelle nuit, un chaos formidable,
Enveloppe à nos yeux d’un voile impénétrable
La sagesse de leurs décrets.

Les grandeurs, le pouvoir, la plus haute naissance
L’éclat de la beauté, le faste, l’opulence,
Sous les lois du trépas soumettent leur orgueil ;
Mais, libre de son joug, la vertu fortunée,
D’un immortel éclat se voit environnée,
Et triomphe dans le cercueil.

Les justes, parvenus au terme de leur vie,
N’ont plus à redouter les assauts de l’envie,
Et chacun dans son cœur leur dresse des autels.
Non, non, tu vis encor, princesse, et ta mémoire
Sera toujours célèbre au temple de la Gloire,
Comme au séjour des immortels.

Le héros plein d’appas, digne objet de ta flamme,
Pressé de sa douleur, soupire et te réclame,
Arrosant de ses pleurs tes restes précieux
Et, malgré les ciseaux de la Parque ennemie,
Son amour tient encore à ton ombre chérie
Par des liens victorieux.

Des biens que lui ravit un revers si terrible
Son esprit lui retrace une image sensible ;
Ton âme règne encor dans son cœur éperdu :
Il pleure ta douceur, ta bonté, ta sagesse,
Et ses larmes sont moins l’effet de sa tendresse
Que l’éloge de ta vertu.

Esclaves des plaisirs, enfants de la mollesse,
Vous dont la vanité ne s’occupe sans cesse
Que du bruit fastueux d’un chimérique honneur ;
Venez, et pénétrés d’un effroi salutaire,
Contemplez ce cercueil, voyez, grands de la terre,
Où se réduit votre bonheur !

De ces titres pompeux, dont l’éclat vous enivre,
De cet encens flatteur où votre âme se livre,
Dans peu vos yeux séduits connaîtront le néant.
Il va s’évanouir, ce fantôme de gloire ;
La mort en va bientôt abolir la mémoire
Dans la poudre du monument.

Thérèse, avant ce jour d’horreur et de tristesse,
Partageait d’un héros la gloire et la tendresse
Et dans ce rang fameux coulait les plus beaux jours ;
Aujourd’hui, ce n’est plus que cendre et que poussière :
Cet astre dont la France adorait la lumière,
Vient de s’éteindre pour toujours.

Au bord du précipice où la mort nous entraîne,
Esclaves malheureux de son triste domaine,
Qui se flatte ici-bas d’éviter sa fureur ?
Elle foule à ses pieds l’éclat du diadème,
Et la cruelle, au gré de son pouvoir suprême,
Frappe les rois et le pasteur.

Sur les ailes du Temps la jeunesse s’envole,
La vieillesse succède à cet âge frivole ;
Mais l’instant qui nous borne est toujours incertain
L’homme suit en aveugle une course infidèle
Souvent tombe à midi la fleur tendre et nouvelle
Qu’on vit éclore le matin.

  • 1 - Le Dauphin, fils de Louis XV, avait épousé en premières noces, le 23 février 1745, Marie Thérèse Antoinette, infante d’Espagne, fille de Philippe V. Après une année et demie de mariage, la Dauphine mourut des suites de couches le 22 juillet 1746. (R)

Numéro
$1029


Année
1746




Références

Raunié, VII 67-71 - Maurepas, F.Fr.12649, p.322