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Les Remontrances du Parlement

Les remontrances du Parlement1
Est-il donc vrai que d’Argenson,
Qu’on disait naguère un fripon,
Qu’on devait voir à la potence,
Soit surintendant des finances ?
Est-il donc vrai qu’il a les sceaux,
Et qu’on les ôte à d’Aguesseau2  ?

D’un si terrible événement,
Le peuple est dans l’étonnement ;
On en gémit, on en soupire,
Et à chacun l’on entend dire :
A quoi donc songe le Régent ?
Il avait bu assurément.

Lorsque d’Aguesseau il choisit,
Son choix plut aux grands et petits ;
Mais aujourd’hui chacun murmure
De voir faire une telle injure
A cet homme de probité,
Qui défendit la vérité.

Lorsqu’il était au parlement,
Il soutint courageusement
Les libertés de notre Église ;
Il empêcha les entreprises,
Que méditaient depuis longtemps
Le pape et tous ses adhérents.

On dit que notre parlement,
Voyant que le retardement
Des rentes de l’Hôtel de Ville
Allait ruiner mainte famille
A député vers le Régent
Monsieur le premier président.

D’abord il a représenté,
Avec beaucoup de majesté,
Que tout allait en décadence,
Qu’on allait perdre notre France.
Et, sans plus chercher de détours,
Il lui a tenu ce discours :

Vous donnez un trop grand crédit
A Law, qui n’est qu’un proscrit ;
De tout l’argent il est le maître :
Il faudrait le mettre à Bicêtre3 ;
Autrement, tout en une nuit,
Il pourra déloger sans bruit.

Le Régent fut fort courroucé,
Car il avait toujours pensé,
Avec ce suppôt de potence,
De tirer tout l’or de la France.
Pour s’en servir dans le besoin ;
L’on sait assez pour quel dessein.

Il ordonna qu’au Parlement,
Le chancelier fût promptement
De sa part lui faire comprendre
Que plus il ne voulait l’entendre ;
Que seul il savait gouverner,
Sans qu’aucun pût lui remontrer.

Le chancelier, fort prudemment,
Lui représenta doucement
Que son dessein n’était pas sage ;
Qu’il était un peu trop volage
De vouloir ainsi révoquer
Ce que lui-même avait réglé4 .

Mais, hélas ! ces beaux dénouements
N’ont fait qu’irriter le Régent.
D’Aguesseau il envoie paître,
Par des paroles malhonnêtes ;
Je me f…, dit-il brusquement,
De toi et de ton Parlement5 .

Pleurez, pleurez, peuple français,
Votre royaume est aux abois ;
D’Argenson règle les finances,
Et de Bissy la conscience.
Vous pouvez dire à cette fois :
Nous n’avons plus ni foi ni lois.

  • 1Autre titre: Sur le changement des Sceaux et les remontrances du Parlement au sujet du système de Law (Arsenal 3132)
  • 2Vendredi 28 janvier. — « M. de La Vrillière alla à sept heures du matin chez M. le chancelier lui redemander les sceaux, et lui conseiller, de la part de ce prince, de s’en aller à sa terre de Fresne jusqu’à nouvel ordre. Il porta les sceaux à M. le duc d’Orléans, qui les a donnés à M. d’Argenson. »(Journal de Dangeau.) — D’Aguesseau conserva son titre de chancelier et d’Argenson devint tout à la fois garde des sceaux et président du Conseil des finances. (R)
  • 3Bicêtre était en même temps un hôpital et une prison : « On y met, dit Hurtaut, ceux qui, par leur conduite, se sont attiré de mauvaises affaires. Il y a pour ces derniers un endroit particulier, que l’on appelle la Petite Correction. » (Dict. de Paris.) (R)
  • 4L’on a déjà vu que le droit de faire des remontrances, annulé par Louis XIV, avait été rendu au Parlement par le Régent. (R)
  • 5Dangeau écrivait, le 27 janvier : « Il a transpiré ce soir fort tard, que M. le duc d’Orléans n’était pas content de M. le chancelier. » Ce bruit fut justifié par l’événement du lendemain : « Les remontrances du Parlement furent si fortes, dit à ce sujet Duclos, et le chancelier si faible, soit par un sentiment d’équité, soit par sa considération habituelle pour la magistrature, que le Régent résolut de lui ôter les sceaux. » (R)

Numéro
$0249


Année
1718




Références

Raunié, III,4-7 - Clairambault, F.Fr.12697, p.21- Maurepas, F.Fr.12629, p.237-40 - Arsenal 2961, p.462-66 - Arsenal 3132, p.352-356