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Sans titre

Dedans Bourges Chauvelin

Sachant la nouvelle

Que l’Éminence a pris fin,

Ses valets appelle1 .

Va t’en voir s’ils viennent, Jean,

Va t’en voir s’ils viennent.

 

Car j’attends incessamment

Du grand Roi de France

L’ordre et le commandement

Qu’avait l’Éminence.

Va t’en voir s’ils viennent, Jean,

Va t’en voir s’ils viennent.

 

On me flatte que Tencin

Pour la concurrence

N’aura dessus Chauvelin

Nulle préférence.

Va t’en voir s’ils viennent, Jean,

Va t’en voir s’ils viennent.

 

J’en suis bien fort glorieux

Comme on le peut croire.

Mais pour m’en assurer mieux

J’ai fait un mémoire.

Va t’en voir s’ils viennent, Jean,

Va t’en voir s’ils viennent.

 

Et j’ai de ma main écrit

Au Roi notre Sire,

Les pas de clerc de Fleury

Qu’on n’osait lui dire.

Va t’en voir s’ils viennent, Jean,

Va t’en voir s’ils viennent.

 

Jugez par là, mes enfants

De mes espérances.

Je disposerai des Francs

Et de leurs finances.

Va t’en voir s’ils viennent, Jean,

Va t’en voir s’ils viennent.

 

L’un d’eux étant aux aguets

Vint dire hors d’haleine,

Que des gens portant mousquets

On voyait dans la plaine.

Va t’en voir s’ils viennent, Jean,

Va t’en voir s’ils viennent.

 

C’est sans dout l’intendant

Ah ! que jen suis aise !

Des ordres assurément

Il a plein sa chaise.

Va t’en voir s’ils viennent, Jean,

Va t’en voir s’ils viennent.

 

C’est, vous  n’en devez douter,

La maréchaussée

Qui le suit, j’ose compter

Ma lettre exaucée.

Va t’en voir s’ils viennent, Jean,

Va t’en voir s’ils viennent.

 

Qu’on lui fasse à mes dépens

Une belle entrée ;

Qu’on régale tous ses gens,

Surtout sa livrée.

Va t’en voir s’ils viennent, Jean,

Va t’en voir s’ils viennent.

 

Mon exil est donc fini.

Dieu, quelle allégresse !

Je dois ce bien infini

A quelque maîtresse.

Va t’en voir s’ils viennent, Jean,

Va t’en voir s’ils viennent.

 

Déjà la belle Mailly

Tenta l’aventure…

Mais quel bruit entends-je ici ?

Quel affreux murmure ?

Va t’en voir s’ils viennent, Jean,

Va t’en voir s’ils viennent.

 

C’était maint et maint archer

Qui gardait la porte,

Sans doute pour empêcher

Que pas un ne sorte.

Va t’en voir s’ils viennent, Jean,

Va t’en voir s’ils viennent.

 

L’intendant s’est appproché,

Triste de visage.

Monsieur, j’en suis bien fâché,

Lisez cette page.

Va t’en voir s’ils viennent, Jean,

Va t’en voir s’ils viennent.

 

Pour punir votre forfait

Et votre imposture,

En recevant ce décret,

Partez sans murmure.

Va t’en voir s’ils viennent, Jean,

Va t’en voir s’ils viennent.

 

Dans Issoire, et de ce pas

Restez sédentaire.

Signé Louis, et plus bas

Par un secrétaire.

Va t’en voir s’ils viennent, Jean,

Va t’en voir s’ils viennent.

 

Ce décret signé Louis

Ne veut de riposte.

Allons, pour gagner pays,

Des chevaux de poste.

Va t’en voir s’ils viennent, Jean,

Va t’en voir s’ils viennent.

 

Le pauvre homme en pâmoison

De son aventure

Fut porté de sa maison

Dedans la voiture.

Va t’en voir s’ils viennent, Jean,

Va t’en voir s’ils viennent.

 

Profitez, gens en faveur,

De cette infortune.

Agissez avec honneur

Et point de rancune.

Va t’en voir s’ils viennent, Jean,

Va t’en voir s’ils viennent.

  • 1Le 4 février, M. Chauvelin, qui attendait avec impatience à Bourges l’ordre de revenir à la Cour, en a reçu un bien différent, puisqu’il lui était enjoint par cet ordre qui lui fut remis par l’intendant de la province, de se rendre à Issoire, petite ville de la Basse-Auvergne, entre Clermont et Brioude. Ce nouvel exil est l’effet d’un mémoire qu’il a fait présenter au Roi dans lequel, pour se disculper, il attaquait la mémoire de M. le cardinal de Fleury par des allégations dont Sa Majesté était informée des faussetés qu’elles contenaient.

Numéro
$6563


Année
1743




Références

F.Fr.15140, p.142-43 - Mazarine Castries 3988, p.233-238