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Critique du salon des tableaux

Critique du salon des tableaux1

Il est au Louvre un galetas2 ,
Où, dans un calme solitaire,
Les chauves-ouris et les rats
Viennent tenir leur cour plénière.
C’est là qu’Apollon sur leurs pas,
Des beaux-arts ouvrant la barrière,
Tous les deux ans tient ses états
Et vient placer son sanctuaire.
C’est là, par un luxe nouveau,
Que l’art travestit la nature ;
Le ridicule est peint en beau,
Les bonnes mœurs sont en peinture,
Et les bourgeois en grands tableaux
Près d’Henri quatre en miniature.
Chaque figure à contresens
Montre une autre âme que la sienne :
Saint Jerôme y ressemble au Temps,
Et Jupiter au vieux Silène.
Ici la fille des Césars,
Dans nos cœurs trouvant son empire,
Semble refuser aux beaux-arts
Le plaisir de la reproduire ;
Tandis qu’un commis ignoré,
Narcisse amoureux de lui-même,
Vient, dans un beau cadre doré,
Nous montrer son visage blême.
Ici l’on voit des ex-voto,
Des amours qui font des grimaces,
Des caillettes incognito,
Des laideurs qu’on appelle Grâces,
Des perruques par numéro,
Des polissons sous des cuirasses,
Des inutiles de haut rang,
Des imposteurs de bas mérite,
Plus d’un Midas en marbre blanc,
Plus d’un grand homme en terre cuite ;
Jeunes morveux bien vernissés,
Vieux barbons à mine enfumée.
Voilà les tableaux entassés
Sous l’hangar de la Renommée ;
Et, selon l’ordre et le bon sens,
Tout s’y trouve placé de sorte
Qu’on voit l’abbé Terray dedans
Et que Sully reste à la porte3 .

  • 1Voici des vers sur le salon qu’on attribue au marquis de Villette. Il y a plus d’antithèse que d’esprit, plus de tournure que de sens, et des expressions de bien mauvais goût ; mais quelques traits par-ci, par par-là et une marche assez légère (La Harpe) - « De toutes les critiques qui ont paru sur le Salon, une petite pièce de vers attribuée au marquis de Villette est celle qui a eu le plus de succès. Il faudrait un commentaire pour en bien faire sentir les divers traits épigrammatiques à ceux qui ne connaissent pas le local et les productions de cette année. Il y a pourtant assez de sel pour qu’elle puisse être goûtée généralement. » (Mémoires secrets)
  • 2Il me tombe entre les mains une copie manuscrite d'une pièce de vers satiriques composés à l'occcasion de l'exposition des tableaux faite cette année dans le salon du vieux Louvre qui n'était pas fort applaudie: suit cette pièce (Hardy)
  • 3La statue de Sully, en marbre blanc, était exposée dans la cour d’entrée avec celles de L’Hôpital, de Des­cartes et de Fénelon. Ces quatre figures devaient être pla­cées chez le Roi. (R)

Numéro
$1437


Année
1777

Auteur
Villette (marquis de) attribué à



Références

Raunié, IX, 130-31 - F.Fr.12652, p.494-95 - Mémoires secrets, X, 236-38 - La harpe, CL, t.II, p.172-73 - Hardy, V, 247 -  Poésies satyriques II, p.151-52