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Critique des fêtes de la ville de Paris

Critique des fêtes de la ville de Paris1
Vous, qui voulez fêter vos rois2 ,
Comme ont fait vos ancêtres,
Bons Parisiens, braves bourgeois,
Qui tant aimez vos maîtres,
Venez lundi soir,
Vous pourrez les voir
Tous en place de Grève,
Gardés comme il faut,
Sur un échafaud
Qu’un prévôt leur élève3 .

Mais n’allez pas prétendre tous
Partager cette grâce,
Vous savez bien qu’étant chez vous,
Vous n’aurez pas de place.
L’ami Caumartin
Fermant le chemin,
Au peuple qui s’effraie4 ,
S’embarrasse peu
Qu’on voie le feu,
Il suffit qu’on paie.

Pour vous consoler du destin
Courez de place en place5  ;
On vous prodiguera le pain
Dont le pauvre se passe,
De vieux cervelas
Dont on ne veut pas,
Et qu’on jette à la tête,
Avec des milliers
De bons fusiliers,
Pour avoir l’air de fête.

Cassez-vous les jambes, les bras,
Les ressources sont prêtes6 :
Vous en aurez ; mais n’allez pas
Aussi perdre la tête. Monsieur le prévôt,
Dont c’est le défaut,
Croit la tête inutile ;
Car il a prouvé
Qu’on n’en a trouvé
Aucune dans la Ville.

Sage ordonnateur de ces jeux,
Et vous, monsieur le maître7 ,
Qui faites passer à vous deux
Le Roi par la fenêtre8 ,
Convenez tout net
Que ce beau projet
Arrangé, Dieu sait comme,
Ne va qu’au Martin,
Qu’au génie enfin,
Qu’à Montmartre on renomme9 .

  • 1Les fêtes de la ville de Paris en l’honneur de la naissance du Dauphin comportaient un grand banquet offert au Roi, à la Reine et à toute la cour, le 22 janvier, suivi d’un feu d’artifice, dont le temps empêcha la réussite, et un bal, donné le 22 auquel assistèrent Leurs Majestés. — « Comme bien des gens désapprouvaient les fêtes données au Roi et à la Reine par MM. les prévôts des marchands et échevins, non quant à leur objet, mais seulement à cause des dépenses considérables qu’elles occasionnaient dans la circonstance d’une guerre dispendieuse et qui pouvait être de longue durée, que d’ailleurs l’emplacement choisi pour ces fêtes n’avait pas été du goût du public, qui n’avait pu en jouir pour ainsi dire qu’à moitié, et que M. de Caumartin, prévôt des marchands, avait fort adroitement obtenu, quelques mois avant lesdites fêtes, un arrêt du Conseil d’État du Roi qui attribuait à l’Hôtel‑de‑Ville une nouvelle perception de trois deniers par livre sur tous les anciens droits généralement quelconques qu’avaient à payer les denrées ou marchandises qui arrivaient par eau dans la capitale, perception qu’on se doutait bien devoir produire une somme immense, on ne s’étonnait nullement de voir circuler dans les cercles des couplets assez mauvais, émanés du cerveau de quelque malin frondeur, auquel on reprochait surtout le premier, qu’on jugeait devoir lui mériter une place au château de Bicêtre. (Journal de Hardy.)(R)
  • 219 janvier a. On n’a pas manqué de faire un vaudeville sur les fêtes que la ville doit donner, où, suivant l’usage, on tourne en ridicule messieurs de la ville et leur plan. (Mémoires secrets)
  • 3L’on avait élevé sur la place de Grève, en face de la Seine, une vaste galerie en bois, d’où le Roi et la cour devaient voir le feu d’artifice tiré au bord de la rivière, et l’on avait complété la décoration de la place par l’établissement d’une charpente parallèle à l’Hôtel‑de‑Ville.(R)
  • 4Il avait été posé des barrières à toutes les rues aboutissant à la place de Grève. (M.)(R)
  • 5« Afin de faire diversion, d’éparpiller le peuple et de le consoler de ne pouvoir jouir du spectacle du feu et de ses maîtres comme il l’aurait voulu, on a imaginé de construire aux extrémités de Paris plusieurs salles de bal où l’on fournira des rafraîchissements et où il dansera ; il est encore question de donner ce jour‑là gratis tous les spectacles ; enfin les princes, les grands seigneurs, les gens en place doivent de leur côté l’amuser par ce que le luxe et la décoration peuvent offrir pour fixer ses regards. » »(Mémoires secrets)
  • 6On avait des chirurgiens arrêtés en cas d’accident. (M.)(R)
  • 7Le sieur Moreau, architecte de la ville, et le prévôt des marchands.(R)
  • 8On avait ouvert une croisée de l’Hôtel‑de‑Ville pour en former une porte de communication dudit Hôtel à la galerie du banquet, construite en retour, qui masquait la rue du Mouton. (M.)(R)
  • 9« Un plaisant a dit que cette chanson ne valait pas mieux que la fête, mais qu’elle ne coûtait pas deux millions. On l’attribue à M. de Piis, qui donne ordinairement ses vaudevilles à meilleur marché. Le prévôt a déclaré qu’il connaissait l’auteur, mais qu’il dédaignait de s’en venger. L’ami Piis a fait bien du mauvais, il a même trouvé le secret d’en faire applaudir à toute outrance — il n’est cependant rien sorti de sa plume d’aussi détestable que le calembour qu’offre le dernier couplet. Ne va qu’au Martin est une bien forte allusion au nom du prévôt des marchands qui s’appelle Caumartin. Martin est un mot dont le peuple se sert quelquefois pour désigner un âne qu’il nomme aussi un docteur de Montmartre. » (Correspondance de Métra.)(R)

Numéro
$1509


Année
1782

Auteur
Piis



Références

Raunié, X,35-38 -F.Fr.13653, p.239-41 - Mémoires secrets, XX, 36-38 - CSPL, t.XII, p.267-68 (couplets 1-2), p.295-96 (couplet 3-10)


Notes

Nos fêtes publiques offrent presque toujours matière à la malignité de quelques individus. Voici une méchanceté assez plate dont on recherche cependant des copies et qu’on dit avoir été affichée au beau milieu de la place de Grève. / Un plaisant a dit que cette chanson ne valait pas mieux que la fête, mais qu’elle ne coûtait pas deux millions. On l’attribue à M. de Piis qui donne ordinairement ses vaudevilles à meilleur marché. - Un plaisant a dit que cette chanson ne valait pas mieux que la fête, mais qu’elle ne coûtait pas deux millions. On l’attribue à M. de Piis qui donne ordinairement ses vaudevilles à meilleur marché. (CSPL)