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Les Ministres

            Les ministres1
Que notre roi consulte Maurepas2 ,
Qu’il soit son mentor et son guide,
Qu’à tous les conseils il préside,
Cela ne me surprend pas :
Mais qu’à Turgot3 ce mentor s’abandonne,
Qu’il laisse ce ministre fou,
Dont tout le public est si saoul,
A notre État casser le cou,
C’est là ce qui m’étonne.

Dans tout Paris, au milieu du fracas,
Que personne ne s’entretienne
Du gobe-mouche Vergenne4 ,
Cela ne me surprend pas :
Mais qu’avec lui notre pauvre couronne,
Dont l’honneur est un peu déchu,
Dans l’Europe n’ait pas reçu
Quelque coup de pied dans le c…,
C’est là ce qui m’étonne.

Que Saint-Germain connaisse les soldats5 ,
Qu’il soit un brave homme à la guerre,
Et qu’on l’élève au ministère
Cela ne me surprend pas :
Mais qu’il admette auprès de sa personne
Un petit Guibert6 , un pied-plat,
Qui se croit un homme d’État,
Et qui dans le fond n’est qu’un fat,
C’est là ce qui m’étonne.

Que de Sartine7 on ait fait quelque cas,
Quand il n’exerçait que l’office
De lieutenant de police,
Cela ne me surprend pas :
Mais qu’on lui trouve une tête assez bonne
Pour une place où ce chrétien
En conscience n’entend rien
Et ne fera jamais le bien,
C’est là ce qui m’étonne.

Que Lamoignon trouve aussi peu d’appas
Au ministère qu’il occupe
Qu’aux amusements de la jupe8 ,
Cela ne me surprend pas :
Mais qu’un mortel qui pense et qui raisonne,
Qui n’est ni bête, ni cagot,
Se laisse traiter d’ostrogoth9
Pour soutenir son cher Turgot,
C’est là ce qui m’étonne.

Qu’avec des gens, sur l’honneur délicats10 ,
Saint-Germain traite et leur confie
Des vivres l’utile régie,
Cela ne me surprend pas :
Mais qu’il s’obstine à vouloir qu’on la donne,
Pour enrichir ses favoris,
A des fripons qui, dans Paris,
Sont déshonorés et flétris,
C’est là ce qui m’étonne.

 

Qu'un Montbarrey dont on ne fait nul cas,

Qui ne fut qu'un comte pour rire,

Devienne un prince de l'Empire,

Cela ne nous surprend pas.

Mais pour adjoint qu'au ministre on le donne

Et que ce grand réformateur

Prenne un intrus pour successeur

Parce qu'il fut son bienfaiteur,

C'est là ce qui nous étonne11 .

  • 1autre titre : Couplets sur les ministres (F.Fr.13652) - L'Étonnement (Hardy) - Épigramme dirigée contre tous les ministres en place qu'on n'y ménageait en aucune manière, suivant la méthode ordinaire de ces écrivains téméraires et audacieux, disposés à tout blâmer, à tout critiquer, ce qu'ils font souvent ab hoc et ab hac ou sans connaissance de cause (Hardy)
  • 2M. le comte de Maurepas, ministre d'État occulte, paraissait avoir toute la confiance du roi (Hardy)
  • 3Ministre d'État et contrôleur général des finances depuis la fin du mois d'août 1774 (Hardy)
  • 4M. le comte de Vergennes, ci‑devant ambassadeur en Suède, ministre et secrétaire d’État, ayant le département des affaires étrangères, depuis la disgrâce du duc d’Aiguillon. (M.) — « Il joignait à un esprit juste des intentions droites, une connaissance approfondie des cabinets de l’Europe et un grand zèle pour faire respecter le nom, la politique et la jeunesse du Roi dans les cours étrangères. Ses démarches, guidées par une longue expérience, étaient sages et mesurées ; sa probité était connue ; mais sa pénétration n’avait pas cette étendue que donne le génie pour placer à propos des combinaisons de cabinet au‑dessus du niveau des événements qu’il faut savoir faire naître pour atteindre le but qu’on se propose ; son esprit, trop timide et trop circonspect, n’était pas capable de ces grands élans qui commandent l’admiration et entraînent avec eux l’opinion publique, on ne l’a vu cheminer que terre à terre, faisant quelquefois de faux pas mais jamais de chutes dangereuses. Les courtisans qui se permettent d’exercer leur censure sur les ministres qui ne sont pas de leur bord lui refusaient de la dignité dans son maintien avec les ambassadeurs, ils trouvaient sa manière de traiter franche et loyale, à la vérité, mais par trop bourgeoise. Quand on est l’organe, l’interprète et le représentant d’un grand roi, quand on stipule les intérêts d’une grande nation, on doit, sans emprunter les échasses de la médiocrité, avoir toujours l’attitude de la grandeur. » (Mémoires de l’abbé Georgel.) (R)
  • 5M. le comte de Saint-Germain, lieutenant général des armées du Roi, secrétaire d'État au département de la Guerre depuis la mort du comte du Muy (Hardy).
  • 6Personnage médiocre sans doute, ou peut‑être désagréable aux militaires, qu’il avait choisi pour son homme de confiance et qui avait composé un ouvrage sur la Tactique. (Hardy)
  • 7M. de Sartine, ci‑devant conseiller d’État et lieutenant général de police, ministre et secrétaire d’État au département de la marine, depuis la disgrâce du sieur Bourgeois de Boynes. On voulait qu’il eût plus de finesse et d’esprit de cour que de véritable science ; il avait beaucoup d’aménité et était d’un facile accès. (Hardy)
  • 8M. de Malesherbes, plus amateur de la chimie et de la littérature, en général, qu’adulateur du beau sexe (M.) (R)
  • 9Allusion à ce que ce ministre avait eu avec le premier président du Parlement une crise assez violente pour la défense des nouveaux édits (Hardy).
  • 10Par allusion aux personnages nouvellement chargés de cette régie dont je ne pus savoir les noms (Hardy).
  • 11La dernière strophe ne figure que dans CLS.

Numéro
$1419


Année
1776




Références

Raunié, IX,94-97 - F.Fr.13652, p.338-40 - BHVP, MS 703, f°82r-82v - CLS, 1776, p.131-32 - CSPL, III, 61-63 - Hardy, IV, 528-29