Aller au contenu principal

Sans titre

Déesse saillante et comique1 ,
Gaîeté, j’implore ton appui,
Contre l’esprit philosophique
Qui prétend régner aujourd’hui
Sur le poème dramatique
Qu’il veut assujettir à lui.

Cet esprit sec et dogmatique
Veut rendre Thalie emphatique ;
Et croit que son ton est celui
D’une Muse mélancolique,
Répandant les pleurs et l’ennui
Et tout cet opium tragique
Que le grand Pradon revendique
Et que La Chaussée après lui
Prit à ce rimeur prosaïque.

Non, la muse du vrai comique,
Grands philosophes d’aujourd’hui,
Répand gaiement son sel attique
Sur le ridicule d’autrui,
Et se rit d’un froid pathétique
Et d’un style métaphysique
Qui, hormis vous et votre clique,
Fait périr le monde d’ennui.

Cette muse que j’idolâtre,
Que le philosophe corrompt,
Bientôt si la corde ne rompt,
Doit nous l’immoler au théâtre.

L’on m’a dit qu’elle y traite à fond,
D’un air ironique et folâtre,
Et son savoir qu’il croit profond,
Et son orgueil opiniâtre,
Qui l’échauffe et qui nous morfond,
Et son mépris acariâtre
Pour tout ce que les autres font.

Thalie en riant le confond
Des vols qu’il déguise et qu’il plâtre ;
Et sur cela croire au théâtre
Nous paraître un esprit fécond,
A qui la Nature marâtre
N’a pas pu donner de second !

Et je consens que l’on le châtre,
Si ce caractère au théâtre
Ne dure plus que ne feront
Tous les romans qui passeront,
Qui, pareils à ces dieux de plâtre,
En moins de temps qu’eux passeront.

A ces traits qui les perceront,
Nous verrons en peu quel emplâtre
Nos philosophes trouveront.

  • 1J’oubliais de mettre ici des vers que je n’ai donnés à personne, attendu qu’ils sont satiriques et mordants. Cette petite pièce de vers est pleine de traits contre le gros des philosophes d’aujourd’hui qui sont opiniâtres, méprisants, impérieux et d’un orgueil insoutenable ; mais cela ne touche point M. Diderot, que je ne connais que par ses ouvrages, auxquels on peut bien faire quelques-uns de ces reproches, mais pas tous. Quant à lui, j’ai toujours entendu faire l’éloge de son caractère et de ses mœurs. Voici les vers

Numéro
$3500


Année
1757

Auteur
Collé



Références

Collé, II,109-11


Notes

Composé par Collé pour lui-même et n'a donc pas dû être diffusé.