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Le Coup de patte ou l’anti-Minette

          Le coup de patte

        Ou l’Anti-Minette

                  Épître

 

Tu dors, Boileau, tu dors, et nos Cotins

Osent souiller ta gloire et tes destins !

De toutes parts les Scudérys renaissent,

Les Desmarets, les Boyers reparaissent.

Ah ! si des morts rompant le dur sommeil,

Tu revenais, terrible en ton réveil,

Précipiter des sommets du Parnasse

De nos rimeurs l’altière populace ;

Vengeur des arts, que dirais-tu de voir

Nos Frérons même usurper ton pouvoir.

Nos Trissotins changés en Aristraques,

Nos vils goujats s’érigeant en monarques,

Du bel-esprit régler les tribunaux,

Nous inonder de perfides journaux,

Qui, du Permesse écume turbulente,

Couvrent les Arts de leur fange insolente ;

Petits Brouillons dont l'unique métier

Est de confondre et chardon et laurier.

Dont l'ignorance avec fureur s'acharne

A nous juger du haut de sa lucarne,

Et de si loin dominant l'Hélicon,

Pense régir les États d'Apollon ;

Aveugles-nés, sans guides, sans principes,

Et de nos sphynx se croyant les Oedipes.

C'est eux qu'on voit sans honte associer

Voltaire et B**, Malherbe et Sabatier,

Et du Parnasse écartant la barrière,

Unir enfin Trublet et La Bruyère.

Mais, répondra sans doute avec douceur,

Des sots bernés le meilleur défenseur :

Eh ! plût au Ciel que, dans l'âge où nous sommes

L'aménité rapprochât tous les hommes1

Qu'elle retînt ces brocards, ces lardons,

Qu'un dur Boileau jette sur nos Pradons !

C'est fort bien dit, et l'Auteur de Pyrame,

Ou d'Astarbé doit haïr l'épigramme ;

Leur fade vers craint le sel des bons mots.

Tel Bac** fait peut-être la moue

À tout rieur qui berne les Dare**,

Et croit toujours recevoir sur sa joue,

Soufflets donnés sur le masque des sots.

De nos Houdarts la douce politique,

Voudrait du Pinde exiler la critique.

Mais qui ne sent que cette aménité,

Est le détour de la stupidité,

Qui, ne pouvant monter jusqu'au sublime,

Veut jusqu'à soi baisser la double cime,

Et qui prétend, sur un Pinde nouveau,

Mettre la gloire et la honte au niveau ?

Ah ! loin des Arts ce mélange imbécile !

Pour lire Homère, il faut siffler Zoïle.

Qu'il serait beau de voir, sur l'Hélicon,

Marcher de pair Mailhol et Crébillon !

Vit-on jamais l'auguste Poésie

A tous rimeurs offrir son ambroisie ?

Quoi ! de la scène un tragique fardeau

Un dur L**, un fade Col,

Boiraient tous deux dans la coupe divine,

Où s'abreuvaient et Corneille et Racine ?

Jamais Virgile, Horace, Varius,

A leurs soupers n'admirent Bavius :

Mais ce Zoïle, impudent Satirique,

Armait contre eux son dépit famélique,

Et dénigrant ces favoris du goût,

Ne soupait guère, et griffonnait beaucoup.

Las ! peignait-il, d'une plume affamée,

De leur Comus l'irritante fumée2 ,

Se plaignant fort que même leur mépris

N'eût qu'en secret hué ses plats écrits.

Il eut raison ; ces amis de Mécène,

Des Bavius ont mérité la haine ;

Surtout Horace, aux traits vifs et perçants,

Choqua trop ceux qui choquaient le bon sens.

Ces nobles Fils des nymphes de Mémoire

Faisaient entr'eux un commerce de gloire :

Rivaux amis, l'un par l'autre éclairés

Ils cultivaient les talents adorés.

Si quelquefois leur piquante saillie

Daigna berner les Frérons d'Italie,

Si, prodiguant le sel à pleines mains,

Ils se jouaient des Colardeaux Romains,

On les voyait, généreux Adversaires,

Couvrir d'encens leurs Buffons, leurs Voltaires.

Du vrai mérite inflexibles vengeurs,

Et de l'envie ardents persécuteurs.

Suivons du moins ces augustes modèles ;

Mêlons nos pas à leurs traces fidèles ;

Que notre esprit découvre à leurs clartés

Du docte Mont les bosquets écartés :

C'est leur flambeau que Bardus veut éteindre ;

Qui les imite a droit de les atteindre.

Amis du vrai, jusques dans les bons mots,

Bernons comme eux et l'erreur et les sots ;

N'empruntons point l'échasse des Pigmées.

Ce petit art des grandes renommées,

Ces piédestaux où se guinda le Franc,

Plus élevé sans en être plus grand,

Et toute gloire, impudent mécanisme,

Né de l'orgueil et du charlatanisme.

O que d'écrits par un Wasp exaltés,

Sont des neuf Soeurs à jamais rebutés !

J'ai vu Phoebus siffler mainte héroïde,

Maint larmoyeur, triste singe d'Ovide,

Rimes de B**, et Prose de Fréron,

Et cet arrêt, ce jugement stupide,

D'un lourd Midas qui se dit Apollon,

Et ces romans, ouvrages de toilette ;

Et Baculard fredonnant sa Manon,

Et Colardeau parlant à sa Minette !

Lui qui, deux fois sur le tragique ton,

Nous endormit mieux que n'eut fait Pradon ;

Lui qu'on a vu, trop ignorant poète,

Bouleversant la fable et ses héros,

Faire enlever la Toifon dans la Crête,

Et transporter la Crète dans Colchos3 .

Mais pour un sot qu'aveugle sa manie,

Toute censure est une calomnie.

Quoi ! rire un peu d'un vers risible et plat,

C'est donc trahir et son Prince et l'État ?

Quoi ! relever une absurde ignorance

Dans Colardeau, c'est outrager la France ?

Du Citoyen on respecte le cœur ;

Mais tout sot vers se lit d'un œil moqueur.

Que reprend-on dans son fade poème ?

C'est le poète, et non le sujet même ;

Car on peut être (et Colardeau l'apprend)

Bon citoyen et poète ignorant.

Que ne mit-il dans son patriotisme

Plus de génie, et moins de cotinisme !

Cotin chanta sa Patrie et son Roi4

Mais du Parnasse en fut-il moins l'effroi ?

Et du récit de leur gloire immortelle

Couvrit-il moins le sucre et la cannelle ?

Sans doute, on peut blâmer dans Colardeau

Ce qu'en Cotin blâma jadis Boileau.

Et cependant (ô stupide démence !

Qui du Public lasse enfin la clémence)

Il n’est talent qu’on ne m’ait disputé,

Dit ce Rimeur, dont l'orgueil hébété

Croit aux jaloux qu'il ne fit jamais naître,

Crie aux méchant pour le plaisir de l'être,

Et va, semant le scandale et le bruit,

Pour échapper à sa honteuse nuit.

Mais son Vers, lourd de pavots et de glaces,

Reste encor froid sous le feu des menaces.

On rit de voir cet embryon mutin

Se courroucer en style de Cotin,

Et miaulant des vers avec sa chatte,

Mettre avec art un carquois dans leur patte5 .

Petit chaton, qui n'a griffe ni dent,

S'avise à tort de prendre un air mordant,

Et pourrait bien, dans ce combat funeste,

Sot agresseur, perdre ce qui lui reste.

Il n'est talent, nous dira-t-il encor,

Qu'on ne dispute à son brillant essor !

Eh ! quel talent que d'enterrer Caliste,

Que d'assoupir un Public qu'on attriste,

Que de traîner sa Muse avec orgueil

De chute en chute, et d'écueil en écueil !

Eh ! quel talent, dans son Ode gothique,

Que d'allonger le fouet de la critique,

D'avoir jadis en style doucereux

Énervé Pope, et glacé tous ses feux,

Et désormais, avec non moins d'audace,

Traduire en vers le traducteur du Tasse !

Que j'aime à voir ce marmouset prudent,

N'apprendre rien de peur d'être pédant ;

Toujours servile et malheureux copiste,

Suivre Pinchêne et Boyer à la piste ;

Pour Marsias abjurer Apollon,

Être Poète à l'aide d'un Fréron.

(Car de tout temps la Muse Colardière

A de F** partagé la litière.)

L'honneur est grand ! mais est-il assez doux

Pour que Voltaire en doive être jaloux ?

Eh ! quels lauriers veux-tu qu'on te dispute,

Froid dramaturge, est- ce ta double chute,

Moment fatal où le Public soufflait

Dans maint tuyau, que tu nommes sifflet :

Sont-ce les vers où ta muse bouffie

Se plaint du fils de la belle Sophie ?

Est-ce l'Épître, imbécile fatras,

Malgré ta chatte, encor rongé des rats ?

Esi-ce l’essor de ton corbeau lyrique,

Qui, loin d'atteindre à l'essor pindarique,

Rampe et croasse aux fanges d'Hélicon ?

Es-tu si fier du vil rang de Gacon ?

Tu crains l'Orgie au combat échauffée6

Rassure-toi ; va, tu n'es pas Orphée !

Mais crains le sort du Satire jaloux,

Crains d'Apollon les redoutables coups.

D'un bras vengeur il atteint, il déchire

Tout vil profane insultant à sa lyre :

Le même Dieu, ceint des plus doux rayons,

De traits sanglants perce les noirs Pythons.

Oui, mais on doit épargner, je l'avoue,

Tout sot Rimeur qui lui-même se joue :

Pour le punir, au gré de nos mépris,

C'est bien assez de ses propres écrits.

De Marsias, le douloureux martyre,

Lui sera moins cruel que de se lire.

Pauvre rimeur, cache ton noir chagrin.

Subis en paix le sort de Pellegrin ;

Ne reviens plus, risible en ta furie,

Glapir des vers pour ta ménagerie7

Et désormais, content d'être oublié,

Garde-toi bien de te croire envié.

Crois moins encore être la jeune abeille

Qui du Printems caresse la corbeille ;

Tu n'eus jamais de miel ni d'aiguillon :

Mais ton vers sec pique comme un chardon.

Puis, il faut bien t'en avertir encore,

L'abeille n'est amante du frelon ;

On ne la voit chez l'insecte félon,

Associer le doux nectar de Flore

Au noir venin du fiel qui le dévore.

Qui te rend donc si fier, si sourcilleux ?

Qui t'a soufflé ce délire orgueilleux ?

La rixe plaît au rimeur subalterne ;

Moi, je pardonne à tout sot que je berne.

Cesse, crois-moi, de périlleux combats ;

Je te méprise, et je ne te hais pas.

Malheur au sot ! car souvent on immole,

Sans y penser, l'errante bestiole.

C'est le destin de tout reptile impur,

Qui vient au jour risquer son être obscur.

Le rossignol, souvent d'une aile agile,

Rompt d'Arachné le chef-d’œuvre fragile ;

Mais le courroux de l’insecte odieux,

N'interrompt pas l'oiseau mélodieux.

Il vit la toile, et jamais la pécore ;

À ses réseaux, las ! elle pend encore

Triste, confuse ; et de ses doux concerts,

Le chantre ailé fait retentir les airs.

                                   M. Le B[run]**

 

  • 1Ces deux vers sont de M. Colardeau, Épître à Minette.
  • 2 Cette Peinture de Bavius est de M. Colardeau ; il a dit : Quand de Comus l'irritante fumée, etc. Êp. à M.
  • 3 Cette bévue est dans le Patriotisme, ouvrage de M. Colardeau.
  • 4 Ce vers imite celui-ci de M. Col…, Ép. à M.
  • 5Expression de l’Épître à Minette.
  • 6Ce trait est encore de l’Épître à Minette : L’horrible orgie au combat échauffée / Met en lambeaux le malheureux Orphée.
  • 7Nous plaignons les bêtes de M. Col… s’il leur adresse tour à tour des épîtres aussi maussades que l’est celle à Minette.

Numéro
$6646


Année
1763

Auteur
Ponce Denis Écouchard Le Brun



Références

Poésies satyriques, p.79-88 - Satiriques du dix-huitième siècle, p.147-57