Aller au contenu principal

Le Four à l'or

       Le Four à l’or

Le Roi passant sur le Pont-Neuf,

J’y fus, je restai comme un œuf

D’entendre le peuple en délire

Crier comme un vrai possédé :

Vive Louis le Bien-aimé.

Surtout un drôle aimant à rire

Criait jusqu’à s’égosiller :

Vive le Père aux boulangers,

Vive la courte [?] à notre Sire.

Puisse-t-elle toujours durer.

Surpris de ce souhait nouveau,

Quoiqu’au fond il me parût beau,

Vous vous ferez coffrer, lui dis-je,

Vous qui criez à rendre sourd.

C’est pour mieux célébrer la tige

Qui sert d’étai à Pompadour.

Monsieur, se prit-il à me dire,

De plus elle amollit le four

Qui fond tout l’or que l’on nous tire.

Ce four est donc diablement chaud

Lui répondit un bon apôtre

Puisqu’il fond l’or comme de l’eau.

Mais si j’étais roi comme un autre,

Et si j’avais les couillons d’or

Comme Nabuchodonosor,

Fondraient-ils au four ? Oui, sans doute,

Ils y fondraient assurément.

Quand ils seraient de diamants

Vous n’en sauveriez pas la goutte

Si vous les laissiez trop longtemps.

Foin, dites-moi, mon capitaine,

Fondrait-il la Samaritaine

Et la figure auprès du puits ?

Je veux être le plus sot bonze

Qu’on verra jamais dans Paris

S’il ne fondait le roi Henri

Avec son grand cheval de bronze.

Peste, c’est un vrai four à l’or.

Mais dites donc, Monsieur, encore,

Ce four est-il bâti de brique ?

Il est bien d’une autre fabrique.

Il est bâti sur un oison

Avec le frai d’un gros poisson,

Bien enduit par un franc-maçon

Avec sa truelle à l’antique.

Jamais on n’a vu son pareil.

Il fond plus d’or que le soleil

Ne pourrait fondre un réverbère.

Je crois qu’il fondrait ma grand’mère.

Que ne fond-il les maltôtiers !

Il ne peut les fondre en entier.

Puis, rapport à la connaissance,

Il a pour eux la tolérance.

D’ailleurs les bougres sont si durs

Que l’on fondrait plutôt ces murs.

Revenons au four, rien ne fige,

Rien, tout s’y fond, hormis la tige

Que je viens ici d’exalter.

Mais si l’on y faisait sonder

La quille au bon Jean de Nivelle

Dedans ce four se fondrait-elle ?

Mais oui, en y restant longtemps.

Et s’’il mettait son nez dedans

Et qu’il n’y restât qu’un instant

Se fondrait-il ? Non, mon enfant,

Mais par le grand chaud des soudures

Dont est pétri ce four ardent,

Il lui viendrait des engelures

Qui lui feraient bien mal aux dents.

Mon bon Jésus, ces maux m’affligent.

Eh, vous n’êtes jamais content.

Ce four est merveilleux vous dis-je,

Jamais de tels on ne verra.

En vérité, c’est un prodige ;

Il fond plus d’or que l’Opéra

Et les seigneurs qui le dirigent.

Numéro
$4670


Année
1753 juin




Références

F.Fr.10479, f°242-43 - Arsenal 2964, f°175-76