Les Hauts faits des robins
Les hauts faits des robins1
Chantons sur l’air des pantins,
Puisque c’est l’air à la mode ;
Chantons sur l’air des pantins
Les hauts faits de nos robins.
Ce sont de paisibles saints,
Qui condamnent les tocsins ;
Mais la cour s’en accommode,
Et fait taire nos robins.
D’Amiens le dévot prélat,
Par un avis schismatique,
D’Amiens le dévot prélat2
Troublait la ville et l’État ;
Le Parlement l’en blâma,
Par un arrêt censura
Et son zèle fanatique
Et son dangereux éclat.
Certain moine défroqué,
Évêque sans diocèse3
,
Certain moine défroqué
Par cet arrêt fut piqué.
Maupeou4
, se croyant perdu,
Pour apaiser le tondu,
En signa, comme un Nicaise,
Un autre sans l’avoir lu5
.
Les conseillers en courroux,
Sachant cette étourderie,
Les conseillers en courroux
Lui dirent : Vous moquez-vous,
Monsieur ? Un de ces matins,
Vous passerez par nos mains.
Prenez-vous la compagnie
Pour un sénat de pantins ?
En effet on s’assembla ;
Plusieurs cassèrent les vitres ;
En effet on s’assembla
Et chaudement on parla
Enfin, par un arrêté,
L’arrêt fut interprété,
Et le fait sur les registres
La cour séante est porté.
L’ex-évêque en trépigna,
Trouvant le trait malhonnête :
L’ex-évêque en trépigna
Et chez le Roi droit alla ;
Il lui dit : Ne manquez pas
De mander les magistrats ;
Lavez-leur moi bien la tête,
Et le Roi n’y manqua pas.
Le Roi leur a dit d’abord,
En prenant un ton de maître,
Le Roi leur a dit d’abord :
Messieurs, vous avez grand tort.
Oh ! s'il vous arrive encor
De prendre un pareil essor,
On vous fera bien connaître
Que Pontoise6
n'est pas mort.
De plus, a-t-il ajouté,
Pour réprimer la licence,
De plus, a-t-il ajouté,
J'ai cassé votre arrêté.
Que l'arrêt qui le proscrit
Soit sur vos registres inscrit ;
Surtout point de remontrances,
Vous les feriez à crédit.
C'est ainsi qu'un dernier coup,
En rompant toute barrière,
C'est ainsi qu'un dernier coup
Va nous livrer tous au loup.
On supprime les états,
On berne nos magistrats,
Et le pouvoir arbitraire
S'avance et marche à grands pas.
- 1Autre titre : Chanson sur le Parlement de Paris au sujet de son arrêté pour la Constitution
- 2Louis‑François‑Gabriel d’Orléans de la Motte. (M.) « Le mandement de M. l’évêque d’Amiens a donné occasion à beaucoup de mouvement dans le Parlement. Comme la Constitution y est qualifiée de règle de foi, le Parlement ne peut voir cette qualification sans peine. Voulant donc agir contre ce mandement, il a cru user de ménagement en ne nommant point cette partie du mandement et s’arrêtant à quelques autres expressions. M. l’ancien évêque de Mirepoix a saisi cette affaire avec vivacité ; sur ses représentations le Roi a parlé très fortement à M. le Chancelier. » (Mémoires du duc de Luynes.) (R)
- 3Jean‑François Boyer, théatin, ancien évêque de Mirepoix, avait été nommé par Fleury précepteur du Dauphin. A la mort du cardinal, le Roi lui confia la feuille des bénéfices ecclésiastiques. (R)
- 4Premier président au Parlement de Paris. (M.) (R)
- 5Après la condamnation du mandement de l’évêque d’Amiens, le rédacteur des Nouvelles ecclésiastiques s’éleva avec violence contre la Constitution. La grand-chambre condamna cet écrit au feu, sur le réquisitoire de l’avocat général d’Ormesson, qui déclara que « la Constitution était une loi de l’Église et de l’État ». Les Enquêtes protestèrent et provoquèrent une assemblée générale des chambres, qui fut tenue le 17 février et corrigea par un arrêté les déclarations de l’avocat général. Mais le 21 une délégation du Parlement fut mandée à Versailles, où le Roi lui signifia qu’il avait cassé, par un arrêt du conseil, l’arrêté du 17 février. (R)
- 6Ville où le Parlement avait été autrefois exilé. (M.) (R)
Raunié, VII,97-100 -Clairambault, F.Fr.12716, p.147-49 - Maurepas, F.Fr.12650, p.101-04 - F.Fr.10478, f° 73 - F.Fr.13659, p.135-38 - F.Fr.15142, p.161-62 - F.Fr.15151, p.131-37F.Fr.15158, p.25-28 - BHVP, MS 550, f°62v-65r - BHVP, MS 599, f°89