Sans titre
Malgré l’horoscope charmant1
Qui me promettait six vingt ans
Je touche à mon heure dernière.
Du Moulin fait pour moi prière.
Approchez, Sire, et m’écoutez,
C’est ma dernière volonté.
Je donne par mon testament
A Tencin le gouvernement.
Il est devenu honnête homme
Dans son ambassade de Rome.
J’aurais sans doute mieux trouvé,
Mais je veux être regretté.
On dira qu’il n’a nul talent,
Qu’en tout point il est ignorant,
Mais, Sire, pour le ministère
Il ne faut pas tant de mystère.
Vous voyez comme tout va bien,
Et cependant je ne sais rien.
Le Conseil est bien composé,
Je l’ai parfaitement formé.
En mille ans, personne, je pense,
N’eût pris Orry pour la finance.
Il est entier, dur et fripon,
Mais au demeurant j’en réponds.
De Breteuil n’est qu’un freluquet.
Je l’eus d’ici chassé tout net
Mais dans vingt ou trente ans peut-être,
Il en saura plus que son maître
S’il s’applique, car Du Vernay
Lui apprendra tout ce qu’il sait.
Pour Amelot, quand je l’ai pris,
C’était pour être mon commis
Car en matière politique,
Chacun sait que je suis unique
Tout seul j’ai l’Europe mené
Elle s’est tu, quand j’ai parlé.
Je conviens que pour votre bien2
Faudrait rappeler Chauvelin
Quoiqu’il mérite ma vengeance
D’avoir poussé son insolence
D’Italie chasser l’empereur
Dont j’étais le seul protecteur.
Si votre confesseur murmurait,
J’ai, Sire, en mes mains votre fait.
Couturier est un homme habile
Et qui n’est pas si difficile
Pour cas de fornication
Donnera l’absolution.
Je l’ai toujours bien consulté
Quand j’ai bénéfice donné
Et je puis dire en assurance
Que c’est par sa seule influence
Que j’ai nommé de grands sujets.
Voyez Revol et Montillet.
Je vous recommande en nouveau
Tous vos fermiers et vos traitants
Sont les colonnes de la France
Méritant bonne récompense,
Beaucoup mieux que tous vos fermiers
Qui ne vivent que de lauriers.
C’est un abus parmi ces gens
De paraître tous indigents
Quoiqu’on assure votre armée
Plus de trois-quarts diminuée
Manquant d’habits, de pain, de vin.
Sire, dans mes derniers moments,
Souvenez-vous de mes parents.
Sire, je vous les recommande.
Ma retenue a été grande
Ayant eu le pouvoir en main,
Hélas, je les laisse sans pain.
Je supplie mon doux rédempteur,
Qu’il grave bien dans votre cœur
L’aveuglement si nécessaire
Pour approuver mon ministère
Et le système de Fouquet
Dont vous voyez le bel effet.
Fleury le crucifix en main3
Disait à Monsieur Cassegrin
Dites-moi, mais sans complaisance,
L’état où est ma conscience.
Croyez-vous qu’à vue de pays
On me reçoive en paradis ?
Monseigneur, dit le directeur,
A votre place j’aurais peur ;
Car autour de Votre Éminence
Je vois déjà rôder d’avance
Deux diables, mais des plus mutins,
Qui sont Couturier et Tencin.
F.Fr.15140, p.103-06 - NAF.9184, p.369-71 - BHVP, MS 550, f°15v-17v - BHVP, MS 705, p.318-22
Poème composite Les six premiers couplets se retrouvent dans $4444 et les deux derniers dans $2809