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Complainte de La Chalotais

Complainte de La Chalotais1
Or écoutez, illustre compagnie.
Comme l’homme est abusé par Satan,
On est par lui bercé pendant la vie ;
Mais le perfide à la mort nous attend.

Ah misérable !
J’ai cru le diable ;
Je suis perdu,
Je vais être pendu.

Il me soufflait tous les jours la manière
En cabalant de me rendre fameux.
Qu’ai-je gagné de suivre sa bannière ?
Je fus méchant, et je suis malheureux.

De Chauvelin j’aimai l’humeur chagrine,
C’était Satan lui-même que j’aimais,
J’aurais bien dû le connaître à sa mine,
Car c’est ainsi que les diables sont faits.

Je me croyais un homme d’importance,
A ma raison je soumettais ma foi ;
D’un double joug je délivrais la France,
J’humiliais et l’Église et le Roi.

Que gagne-t-on à devenir grand homme,
Si du public on devient le jouet ?
Le Cavayrac2 est triomphant à Rome
Et Caradeuc à Rennes est au gibet.

Contre Guignard3 et ses bénins confrères
Je déclamais avec un zèle ardent ;
Mais, ô douleur ! que vont dire ces pères
Quand de Guignard je serai le pendant.

Ah ! si du moins, par un peu de clémence,
A nos seigneurs l’on m’avait confié !
Cartouche aurait évité la potence,
Si par sa troupe il eût été jugé.

Vous, mes amis, apprenez à mieux faire,
Cessez, cessez de marcher sur mes pas ;
Je vous trompais, quand je vous ai fait croire
Qu’on obéit en n’obtempérant pas.

Ah misérable !
J’ai cru le diable ;
Je suis perdu,
Je vais être pendu.

  • 1Louis‑René de Caradeuc de La Chalotais, procureur général au parlement de Bretagne, fut l’un des premiers magistrats qui provoquèrent l’abolition des jésuites en France, par ses Comptes rendus des Constitutions des jésuites. Il s’attira par ses sarcasmes l’inimitié du gouverneur de la province, et compta parmi les principaux instigateurs de la résistance que le Parlement de Rennes opposa aux édits bursaux dont le duc d’Aiguillon poursuivait l’établissement. Aussi le duc chercha‑t‑il l’occasion de le perdre, et, profitant de ce que l’on avait cru reconnaître son écriture dans des lettres anonymes adressées au Roi, sur les troubles de Bretagne, il obtint de le faire arrêter le 11 novembre 1765, avec son fils, aussi procureur général et quatre conseillers du Parlement. (R)
  • 2L’abbé de Cavayrac, auteur de l’Appel à la raison, et autres pièces en faveur des jésuites, pour lesquelles il fut obligé de se réfugier à Rome. (M.) (R)
  • 3 Synonyme de jésuite. (R)

Numéro
$1247


Année
1766




Références

Raunié, VIII,59-64