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Sans titre

Commencement du poème du Paradis perdu
de Milton, traduit burlesquement.
Je chante la pomme funeste
Qu’Ève mangea
Et qui de la table céleste
Nous délogea
Jusqu’à ce que le meilleur homme
Qui fut jamais
De son sang payant cette pomme
Fit nos paix.

Vous en qui Virgile et Moïse
Mirent leur foi,
Dieux de la fable et de l’Église,
Inspirez-moi,
Comme Ossa eut sa place
Sur Pélion,
Oreb et Sinaï s’entassent
Sur l’Hélicon.

Serpent maudit, je te demande
Par quels appas
Tu conquis la belle friande
Que tu trompas
Dedans sa clôture charmante
Qui m’eût tant plu ?
Comment ? par où ? par quelle fente
Te glissas-tu ?

L’orgueil t’acquit cette victoire,
Ce même orgueil
Qui fut de ta première gloire
Le triste écueil,
Quand de Michel l’ardente brette
Dans un grand trou
Te jeta cul par dessus tête
Je ne sais où.

Mais l’esprit divin qui m’éclaire
Me le fait voir.
Quel abominable repaire !
L’affreux manoir !
Ce n’est qu’une mer enflammée,
Le soufre y pleut,
Le feu, la poudre, la fumée,
Sauve qui peut.

De sa chute en cette fournaise
L’ange plumé
Huit jours à cu nu sur la braise
Resta prostré.
Au bout d’un si long temps du gouffre
Il s’exhala
Un large camouflet de soufre
Qui l’éveilla.

Toute la milice écrasée
De l’occident
Courut la surface embrasée
Du lac ardent.
Hélas, ce n’étaient plus des anges
Tels que ceux-là
Que dans Sodome de louanges
On accabla.

Ils ont la chair d’un rôt qui brûle,
Le front cornu,
Le nez fait comme une virgule,
Le pied crochu,
Le fuseau dont filait Hercule
Noir et tortu,
Et pour comble de ridicule
La queue au cu.

Le beau sabbat quand la brigade
Se reconnut.
Satan dit à son camarade :
Cher Belzébuth,
Que de hurlements pitoyables !
Par la morbieu,
Nous voilà faits comme des diables,
Malheur à Dieu.

Comme on voit la balle de paume
Lancée en bas
Qui de revenir à son homme
Ne tarde pas,
Dignes du nom d’anges rebelles
De ces bas lieux,
Revolons vite à titre d’aile
Contre les cieux.

À ces mots, il se prit à rire
Du bout des dents,
Mais Belzébuth lui répond : Sire,
Cherchez vos gens,
Il grêle un tant soit peu trop roide,
Foin du projet,
Le chat échaudé craint l’eau froide,
Votre valet.

Satan repart : notre adversaire
N’est qu’un benêt ;
Contre lui pouvait-il pis faire
Que ce qu’il fit ?
Dis-moi, de quoi tu peux te plaindre,
Pauvre innocent ?
Il nous a rendus plus à craindre
Qu’auparavant.

Cette peau couverte d’écailles
Sera pour nous
Une forte cotte de maille
Contre les coups.
Voilà nos armes défensives
Et puis voici
Pour nos armure offensives
Ces griffes-ci.

Le Diable dit ces mots infâmes,
La tête en haut,
Et le corps à plat sur les flammes
Comme un crapaud.
On m’a dit comme une baleine,
On s’abusait
Puisque ma bourse n’est pas pleine
Bien qu’il y soit.

Hors du lac d’où pas un ne bouge
Il se lança,
Sur le rivage de fer rouge
Il se haussa,
Et fit à la gent scélérate
Quelques discours.
Mais comme il se grillait la patte
Il les fit courts.

Tels que des millions d’écrevisses
Dans un chaudron,
Tels que des millions de saucisses
Sur le charbon,
Tels il voit dans le vaste abîme
De cent façons
Rôtis et bouillis de son crime
Les compagnons.

Sus, sus, cria-t-il de la rive,
Réveillez-vous,
Que celui qui n’aime me suive.
Rassemblons-nous.
Puisse le premier qui s’avise
De dire non,
Servir aux portes d’une église
De goupillon.

Ces derniers mots font sur leurs crêtes
Dresser les crins.
Le fer, la foudre, les tempêtes
Seraient moins craints ;
Les anges pour jeter l’alarme
N’auraient dû prendre pour toute arme
Qu'un bénitier.

Le soleil venant à paraître,
Si des rayons
Percent par un trou de fenêtre
Dans nos maisons,
Il semble que la poudre y passe.
Nous en voyons
Voler dans ce brillant espace
Des tourbillons.

Pareils en nombre à ces atomes
Près de Satan
La noire troupe de fantômes
Vole à l’instant.
Les noms de ses anges sinistres,
Si beaux jadis,
Pour être biffés du registre
Du paradis.

Numéro
$5388


Année
1729 (Castries)




Références

Mazarine Castries 3984, p.380-87 - Bouhier-Marais, III, 105-07