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Les Auteurs d’Annette et Lubin

Les auteurs d’Annette et de Lubin1
Il était une femme2
Qui, pour se faire honneur,
Se joignit à son confesseur3 :
Faisons, dit-elle, ensemble
Quelque ouvrage d’esprit4 ,
Et l’abbé le lui fit.

Il cherche en son génie
De quoi la contenter ;
Il l’avait court pour inventer :
Prenant un joli conte
Que Marmontel ourdit,
Dessus il s’étendit.

On prétend qu’un troisième
Au travail concourut :
C’est Favart5 qui les secourut.
En chose de sa femme
C’est bien le droit du jeu
Que l’époux entre un peu.

Fraîcheur, naturel, grâce,
Tendre simplicité,
Tout cela fut du conte ôté ;
On mit des gaudrioles,
De l’esprit à foison,
Tant qu’il fut assez long.

A juger dans les règles,
La pièce ne vaut rien6 ,
Et cependant elle prend bien.
Lubin7 est sûr de plaire ;
On dit qu’Annette aussi
En tire un bon parti.

Mais si la vaine gloire
Des auteurs s’emparait,
Le public sot les nommerait,
Monsieur Favart, sa femme,
Et brochant sur le tout,
Avec eux l’abbé fou.

  • 1Chanson à l’endroit d’une femme auteur dont la pièce est celle d’un abbé. Il est ici question de la comédie d’Annette et Lubin qui parut sous le nom de M.Favart et qu’on croit être de l’abbé de Voisenon. (F.Fr.13651) - - 2 avril 1762. On parle beaucoup d’une chanson faite sur l’abbé de Voisenon et Mad. Favart, à l’occasion de la pièce d’Annette et Lubin, qui est mise sous le nom de cette dernière. Voici cette plaisanterie : Chanson nouvelle à l’endroit d’une femme auteur, dont la pièce est celle d’un abbé. Mémoires secrets. 2 avril 1762 [Cette chanson est reproduite par Grimm le 1er avril 1762, avec le commentaire : « Pour bien entendre cette chanson, il faut savoir que Mme Favart prétend êtrel’auteur de a pièce, que le public croit être de son mari et de M. l’abbé de Voisenon»  (V, 63). (R)
  • 2Justine‑Benoite Duronceray, épouse de Favart. (R)
  • 3Claude‑Henri de Fuzée, abbé de Voisenon, membre de l’Académie française, non moins connu par ses œuvres badines que par sa liaison avec le ménage Favart. « L’abbé de Voisenon est un des hommes les plus aimables qu’on puisse rencontrer… Alternativement libertin et dévot, mais toujours aimable, il a passé sa vie entre son confesseur, le P. Saint‑Jean, jésuite, et Mme Favart, et il a fait avec remords beaucoup d’ouvrages remplis de sottises. Cette faiblesse et cette vacillation d’organes qui l’empêchent d’avoir un avis et surtout de suivre ses résolutions, lui donnent aussi cette légèreté d’esprit, cette foule de saillies et d’épigrammes peu recommandables dans les ouvrages, mais très séduisante dans la conversation. Il a passé sa vie à être mourant d’un asthme et à se rétablir un instant après. » (Correspondance littéraire.) (R)
  • 4La comédie d’Annette et Lubin, en un acte et en vers, mêlée d’ariettes, de vaudevilles et de divertissements, fut donnée sur le Théâtre‑Italien, transformé, le 15 février. (R)
  • 5Charles‑Simon Favart, acteur et auteur dramatique (1710‑1792), fournit plus de soixante pièces au répertoire de l’Opéra‑Comique et du Théâtre‑ltalien. (R)
  • 6C’était aussi l’opinion de Grimm : « La Comédie‑Italienne, écrit‑il, a donné une petite comédie intitulée Annette et Lubin, mêlée d’ariettes et de vaudevilles parodiés, c’est‑à‑dire de tous les accompagnements d’un faux et mauvais goût… Elle est faite d’après le conte de Marmontel qui porte le même titre et qui est peut‑être le meilleur de son recueil. Vous ne trouverez déjà que trop d’esprit dans le conte qui devrait être un chef‑d’œuvre de naïveté et de simplicité, mais c’est bien pis dans la co­médie, où la pointe épigrammatique vous blesse à chaque instant… Lorsqu’on voit triompher le genre faux et absurde qui fait le succès d’Annette et Lubin, on reste affligé et humilié et l’on croit que le génie et le goût vont dispa­raître parmi nous. Cette petite comédie, qui aura pour notre honte peut‑être cinquante représentations, est de Mme Favart et Cie. M. l’abbé de Voisenon est un des pre­miers associés de cette compagnie si riche en tournures, épigrammes et pointes » (Correspondance littéraire.) (R)
  • 7Caillau, acteur de la Comédie‑ltalienne. (M.) (R)

Numéro
$1197


Année
1762




Références

Raunié, VII, 339-42 - F.Fr.13651, p.998-99 - Mémoires secrets,  I, 55.  CLG, éd. Tourneux, V,63 (janvier 1761) - Les Mémoires de Maurepas ne reproduisent que le premier couplet.