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Clément Satire VII

                                 Satire VII

 

Que l’homme en vain désirs se tourmente et s’égare !

Que, pour fuir son repos, il prend un soin bizarre !

Tant de soins cependant, ses veilles, ses travaux,

Tous ses vœux inquiets ne tendent qu’au repos.

Mais quand viendra ce jour où nous l’entendrons dire :

Enfin, reposons-nous ; ce bien nous peut suffire.

Non, non, rien ne suffit aux vœux du cœur humain,

Altéré par l’ivresse et la fièvre du gain.

L’œil au ciel, vous criez d’une voix importune :

Fortune, viens à nous ; viens à nous, ô Fortune !

Êtes-vous plus heureux quand la Fortune vient ?

Vous croyez la tenir, et c’est vous qu’elle tient.

Tel bornait ses désirs à vaincre la misère,

Qu’un ample superflu ne saurait satisfaire.

Est-on riche ? On envie un sort plus opulent.

L’ardeur d’accumuler croît en accumulant.

Du repos désiré jamais l’instant n’arrive :

Image toujours chère et toujours fugitive !

C’est un poste d’honneur où l’on doit parvenir ;

Des grâces qu’à la cour on brûle d’obtenir ;

On attend qu’un bon vent ramène vers la France

Un navire chargé d’une riche espérance ;

On veut, tendre héritier d’un oncle précieux,

Avoir eu la douceur de lui fermer les yeux.

 

Parmi ces vains projets dont votre âme s’enivre,

Insensé, vous courez près l’instant de vivre,

Sans saisir cet instant qui vous fuit sans retour ;

Et toujours malheureux, pour être heureux un jour.

 

Oui, je rends grâce au Ciel qui me regarda naître :

Mon cœur de ses désirs a su se rendre maître.

Des faux biens que poursuit l’avide ambition,

Jeune encor, j’ai connu la folle illusion :

Riche de peu, sans soins, et l’âme satisfaite,

J’ai trouvé le bonheur dans mon humble retraite.

 

C’est là, qu’en des vallons de Pomone chéris,

Non loin des murs bruyants du superbe Paris,

Dans un calme profond, solitaire et tranquille,

J’oublie, et le tumulte et l’ennui de la ville.

 

Je ne regrette point tout ce pompeux fracas,

Ces plaisirs si vantés dont on est si tôt las,

Ces festins somptueux d’où la joie est bannie,

Ces cercles où l’on bâille en bonne compagnie,

Où, d’un ton important, et sous un air de cour,

L’Ennui vient débiter les nouvelles du jour.

 

Que m’importe, en effet, qu’en son aveugle audace,

Un Ministre, frappé des traits de la Disgrâce,

Fasse, au bruit de sa chute, enfuir tous ses flatteurs ;

Que nos Grands, secondés des avocats menteurs,

Viennent, devant Thémis trop crédule au parjure,

Du public moins facile affrontant le murmure,

Payer leurs créanciers d’un déni solennel,

Et gagner, par arrêt, un opprobre éternel ;

Que nos Nymphes d’amour, par le gain échauffées,

Des biens de nos Seigneurs relèvent leurs trophées ;

Que nos auteurs, si fiers de leurs petits talents,

Amusent le public, au moins à leurs dépens ?

Oh, qu’à ces vains objets une âme est peu sensible,

Qui sait goûter des champs le spectacle paisible !

 

Partout, dans ces vallons, à mes yeux enchantés,

La Nature sourit et m’offre ses beautés ;

Et partout le travail, secondant la Nature,

Étale les trésors d’une riche culture.

Ici Flore et Vertumne, et Pomone, et Palès,

S’unissent à l’envi pour égayer Cérès.

Ces coteaux couronnés des plus riants bocages,

Ces champs couverts de fruits, de verdure et d’ombrages,

De ces humides prés le frais délicieux,

Tout me charme, m’attire et m’arrête en ces lieux.

 

Qu’un autre aille des Grands assiéger le passage,

Offrir à leur dédain un importun visage,

Des valets du Vizir se faire des amis,

Apprivoiser un Suisse, ou fléchir un commis ;

Moi, je crains la richesse autant que la misère.

Riche, on est dur, injuste, insensible et colère ;

Pauvre, il faut endurer ou l’opprobre ou la faim :

Ô médiocrité, reçois-moi dans ton sein !

 

C’est ici qu’au repos j’ai consacré ma vie :

Ici ma liberté fait ma plus chère envie.

Dans ce modeste asile ignoré des chagrins,

Tous mes plaisirs sont purs, tous mes jours sont sereins.

Souvent, aux doux rayons du jour qui vient d’éclore,

Je vais, à mon réveil, faire ma cour à Flore.

J’aime à voir s’élever, près des tendres jasmins,

Le lys, fier de sa tige, et roi dans nos jardins ;

Et parmi les buissons où la rose est semée,

Respirer du zéphir l’haleine parfumée.

Quelquefois, en montant de coteau en coteau,

Je vois se déployer des bois, des champs nouveaux ;

L’œil ne peut embrasser leur immense étendue :

Au milieu du tableau, Paris n’offre à ma vue,

Dans l’espace riant de ce libre horizon,

Qu’un triste amas de murs, une vaste prison.

Et je me dis alors : ces esclaves des villes

Méprisent la campagne et nos plaisirs tranquilles :

De leurs plaisirs trompeurs, ne soyons point jaloux ;

Si le Monde est pour eux, la Nature est pour nous.

 

Quand le ciel plus ardent me fait désirer l’ombre,

Au lieu le plus profond d’un vallon frais et sombre,

Où les nymphes des eaux ont choisi leur séjour,

Je brave en son midi l’astre brûlant du jour.

Mille oiseaux, attirés sous ces ombres secrètes,

Viennent de leurs concerts réjouir ces retraites,

Et remplir tous les sens d’un doux ravissement.

Mais quel est mon regret, dans un lieu si charmant,

D’entendre murmurer ces Naïades plaintives

Contre un tyran jaloux qui les retient captives,

Emprisonne leur course en d’avares canaux,

Et fait languir ces prés amoureux de leurs eaux !

 

Ô séjour enchanteur, aimable solitude,

Quels charmes vous prêtez aux douceurs de l’étude !

Que ma Muse, à Paris, si lente à m’inspirer,

Avec moi, dans ces lieux, est prompte à s’égarer !

Mais déjà de ces prés le séjour pacifique

Calme, de jour en jour, mon aigreur satirique ;

Ce Censeur si fâcheux à tant de sots esprits,

En ne les lisant plus, pardonne à leurs écrits ;

Et quoiqu’un vain orgueil soit l’âme d’un poète,

Tout ce qu’on dit de moi n’a rien qui m’inquiète.

L… impunément peut, sur moi, se venger

Des mépris du public ardent à l’outrager ;

Et ce léger Dorat, si gai dans ses injures,

Me traiter de serpent, ans craindre mes morsures.

Autrefois j’aurais su, d’un vers assez malin,

À leur sensible orgueil laisser un long chagrin ;

Aujourd’hui, sans humeur, j’endure leurs outrages.

Qu’on vante hardiment d’impertinents ouvrages,

Et que le faux esprit, né d’un goût dissolu,

Dans son Louvre orgueilleux règne en maître absolu ;

Je ne sens plus en moi cette critique audace

Qui brûlait d’immoler ce tyran du Parnasse.

Mon esprit, qui se plaît dans un sage repos,

Renonce au vain honneur d’être l’effroi des sots ;

Par d’utiles leçons ma raison affermie,

Me devient pour moi-même une juste ennemie ;

C’est à régler mon âme, enfin que je m’instruis,

Et je mets à profit jusqu’aux erreurs d’autrui.

 

Voudrais-tu ressembler, me dis-je, à l’homme avide

Dont l’usure a grossi la richesse sordide ?

Un jour l’Agriculture, avec tous ses attraits,

L’enflamme, et d’un argent fécond en intérêts,

Rassemblant en un tas les sommes dispersées,

Il acquiert à vil prix des terres délaissées ;

Il parle, tout le jour, de produits et d’engrais,

Fait abattre un vieux bois, dessécher un marais,

Et lui-même, le soir, compte, en ses bergeries,

Ses longs troupeaux bêlants au retour des prairies.

Mais, bientôt dégoûté d’un séjour innocent,

Et du repos ingrat où dormait son argent,

Il vend tout ; et laissant prés, bois, champs et culture,

Court, sur de bons effets, prêter à triple usure.

 

Serais-tu plus heureux de changer ton destin

Avec ce Parvenu si sot et si hautain

Qu’un ennui fastueux constamment accompagne,

Et qui traîne avec lui la ville à la campagne ?

Son orgueil vient aux champs habiter des palais.

En vain, pour s’étourdir, il rassemble à grands frais

Des Chanteurs, des Bouffons la bruyante cohue ;

Toujours le même ennui le consume et le tue.

Le Bonheur ne veut point tant de faste et de bruit ;

Mais il vient fréquenter mon modeste réduit ;

Il vient, accompagné du Repos, du Silence,

De la Simplicité, la sœur de l’Innocence.

 

Ainsi, libre et content de mon obscurité,

Je bénis tous les jours ma médiocrité,

Qui chasse des Fâcheux l’ennuyeuse visite,

L’importun Discoureur, l’effronté Parasite.

Heureux mon humble toit, quand j’y puis recevoir

Des amis qui, pressés du désir de me voir,

Ne viennent point railler ma table un peu rustique,

Ne toucher, d’une dent dédaigneuse et critique,

À quelque mets vulgaire à la hâte apprêté !

L’amitié fait accueil à la frugalité.

Mes convives charmés, sous un berceau champêtre,

Se contentent des mets que ces champs ont fait naître,

Des légumes légers souvent redemandés,

Et de fruits qu’à la main les arbres ont cédés.

Mais cependant Bacchus, père de la franchise,

Pour échauffer la joie, à nos côtés assise,

Nous verse abondamment ces vins qu’avec amour

Il recueille aux coteaux où j’ai reçu le jour.

Là, nous ne parlons point des nouvelles secrètes

Qu’un ministre jamais ne confie aux gazettes,

Et nous ne craignons pas que de traîtres valets

Vendent au délateur nos propos indiscrets.

Nous ne discourons point de procès, d’héritages,

Des spectacles du jour, des modernes ouvrages ;

Si Mercier, pour nous plaire, écrit trop, ou trop mal ;

Ou si le beau Vestris danse mieux qu’Auberval.

Nous semons nos repas d’entretiens moins stériles.

Nous aimons à chercher des vérités utiles :

Si l’amitié, de l’âme est un pur sentiment.

Ou si notre intérêt nous entraîne en aimant ;

Si le souverain bien que promet la richesse,

Ne se trouve en effet qu’en la seule sagesse,

Et si pour l’homme, enfin, il est quelque bonheur

Sans l’amour des vertus et sans la paix du cœur.

Quelquefois du vrai beau cherchant la source pure,

Nous voyons qu’elle coule au sein de la nature,

Qu’en fuyant son génie et sa simplicité,

Croyant tout embellir, l’esprit a tout gâté.

Notre âme, en ces discours, et s’élève et s’éclaire.

Sages amusements, vous seuls pouvez me plaire !

Tels seront mes plaisirs dans cet heureux séjour,

Tant que l’astre enflammé fera luire un beau jour.

Quand l’aquilon fougueux, descendant des montagnes,

Viendra de leurs attraits dépouiller les campagnes ;

Et que les noirs corbeaux, messagers des hivers,

De leurs croassements attristeront les airs ;

Par les vents ennemis chassé de mon asile,

J’irai, pour quelques mois, m’exiler à la ville.

Mais de ma liberté plus que jamais épris,

Il n’est lien si fort qui m’arrête à Paris,

Sitôt qu’à son retour la première hirondelle

Vient effleurer nos champs où Zéphir la rappelle.

Numéro
$7730


Année
1786

Auteur
Clément



Références

Satiriques du XVIIIe siècle, t.II, p.111-19 - Poésies satyriques, t. II, p. 159-67


Notes

 Les 11 satires de Clément occupent les N°$7724-$7734. Elles figurent dans le recueil Satires par M. C***, Amsterdam et se trouvent à Paris chez les Marchands de nouveautés, 1786.