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Épître de Madame ***, à Mlle la chevalière d’Éon

Épître de Madame ***, à Mlle la chevalière d’Éon1

Par M. Dorat

Enfin, Monsieur l’Ambassadeur,

De Dragons jadis Capitaine,

Orateur en Cour Souveraine,

Aide de Camp, Ministre, Auteur,

Malgré votre ton militaire

Et votre esprit si cavalier,

Et votre talent pour vous taire

Ou pour tuer votre adversaire

Quand il était trop familier ;

Malgré la croix de Chevalier,

Le nom de plénipotentiaire

Et d’agent extraordinaire

Qu’on n’osait pas contrarier,

Vous voilà des nôtres, j’espère !

Les jurés ont regardé là

Et Mansfield, arbitre sévère,

A même opiné sur cela

Dans un tribunal d’Angleterre

Femme en un mot décidément,

Sans en avoir été moins sage !…

Loin de vous plaindre du partage,

Je vous en fais mon compliment.

Pallas qui , dit-on, resta fille,

Valait bien Mars assurément,

Et dans son mâle accoutrement

Levait la lance lestement,

Après avoir tenu l’aiguille.

Quoiqu’on s’avise d’en penser,

Votre sexe, brave pucelle,

Avec orgueil peut s’annoncer ;

S’il vous manque une bagatelle,

Vous avez su vous en passer,

Et votre gloire en est plus belle.

Nous sommes, vous le prouvez mieux

Que tout ce que j’en pourrais dire,

À ces hommes présomptueux,

Des politiques plus fins qu’eux :

Souvent nos plus frivoles jeux

Cachent le grand art de séduire

Que nous avons reçu des dieux,

Et qui vaut seul tout leur empire.

Dans tous les postes d’apparat,

Nous brillerions comme tant d’autres.

Pour les secrets… d’après les vôtres,

Il faudrait qu’on les publiât,

Que nous gardons ceux de l’État,

Comme on nous voit garder les nôtres.

Quant au talent de batailler

Dont ces hommes font étalage

(Car c’est là qu’ils pensent briller)

Grâce enfin à votre courage,

Ils trouveront à qui parler.

De l’honneur atteignant la cime,

Que par vous nos bras soient armés ;

De nos escadrons emplumés

On vous fait généralissime.

Nos tyrans sans tant de façon,

Tendront aux fers leurs mains rebelles.

Puisqu’ils n’entendent par raison,

Nous ferons marcher du canon

Contre ces monstres d’infidèles.

 

Point de quartier pour les amants

Sans honneur, sans délicatesse ;

Pour les maris trop exigeants

Qui voudraient bien que sans faiblesse,

Avec des minois de vingt ans

On eût les goûts de la vieillesse ;

Pour les jaseurs impertinents,

Les sots, les fats de toute espèce

Et les faiseurs de faux serments ;

Oui, leur renvoyant les alarmes

Avec les maux qu’ils nous ont faits,

Glaive au poing, cocarde aux bonnets,

Les ayant battus par nos charmes,

Nous y joindrons d’autres succès

Et nous moquant de leurs vacarmes,

Et les traitant en ennemis,

Ces Dames mettront bas les armes

Quand ces Messieurs seront soumis.

  • 1Cette pièce de vers qui se rapporte au temps de la métamorphose de Mlle la Chevalière d’Éon, est placée à la tête d’une brochure nouvelle, intitulée : La vie militaire, politique et privée de Mlle Charles-Geneviève-Louise-Auguste-Andrée-Thimothée d’Éon de Beaumont…

Numéro
$6404


Année
1779

Auteur
Dorat



Références

CSPL, VII, 417-19