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La Disgrâce de Chauvelin

La disgrâce de Chauvelin1
Ce fut de février le vingt
Que dès sept heures du matin
On vit galoper Maurepas2 .
Alleluia.

La joie éclatait dans ses yeux,
Avec un ris malicieux
Chez le Chauvelin il entra.

Lorsque celuici l’aperçut
Tout perplexe et tremblant il fut ;
De son malheur il se douta.

L’autre lui dit en quatre mots :
Le Roi redemande les sceaux ;
Ce coup de foudre l’accabla,

Sans répondre ni oui ni non,
Revenu doux comme un mouton,
Il les prit et les lui donna.

Lorsque Maurepas fut dehors
Chapelle-Jumilhac parut alors,
Ce fut le diable celui-là.

Il faut tout à l’heure avec moi
Venir, lui dit-il, à Grosbois3 ,
Mon escorte vous conduira.

Ah ! permettez-moi, par pitié,
De dire un mot à ma moitié,
La pauvre enfant, elle en mourra —

Quand la bonne dame eut ouï
Le triste sort de son mari,
A la renverse elle tomba.

Elle se tirait les cheveux
Et jetait des cris douloureux,
Quatre fois elle se pâma ;

Mais c’était inutilité,
Malgré son air et sa fierté
Il fallut en passer par là.

Or est-il qu’il est à Grosbois
Dépouillé de tous ses emplois.
Longtemps, je pense, il y sera4 .

Cet événement dans Paris
Réjouit grands et petits,
A l’envi chacun y chanta.

Tout le monde le haïssait,
Car ce beau monsieur regardait
Tout le monde du haut en bas,

Je veux, par curiosité,
Aller à Grosbois cet été,
Pour voir la morgue qu’il aura5 .

Et vous, monsieur le cardinal,
Qui ne fîtes jamais de mal,
Tout bon Français vous bénira.

De Mars ayant banni l’erreur
Il ne vous manquait, Monseigneur,
Que de chasser ce fripon-là.

Vous l’avez fait, Dieu soit loué ;
Le ciel, pour vous récompenser,
Vivre cent dix ans vous fera.

Ainsi soit-il ! le chansonnier
Le souhaite tout le premier
Et toujours le souhaitera.

Convaincus que nous sommes tous
Tant que vous serez parmi nous,
Que tout en France fleurira.
Alleluia.

  • 1autre titre: Chanson sur Monsieur Chauvelin, chant joyeux au temps du carnaval 1737 (Arsenal 3133) -  - Chauvelin, que le cardinal Fleury avait honoré de la double fonction de garde des Sceaux et de secrétaire d’État des affaires étrangères, avait su se créer un puissant parti à la cour. Secrètement encouragé par M. le Duc il comptait remplacer à courte échéance le cardinal Fleury, qui devenait chaque jour plus incapable de gouverner, lorsqu’une brusque disgrâce vint ruiner ses espérances. (R)
  • 2« Le mercredi 20, à sept heures du matin, M. de Maurepas arriva chez M. Chauvelin, étant porteur d’une lettre de cachet à ce qu’on dit écrite de la main du Roi, par laquelle il demande la démission de ses charges de secrétaire d’Etat des affaires étrangères, de garde des Sceaux et de vice‑chancelier, ce qu’il signa apparemment. Il demanda à M. de Maurepas s’il pouvait aller parler à Mme de Chauvelin ; il lui permit; Il monta en haut, la fit réveiller, et lui dit seulement : M. de Maurepas est là‑bas ! Elle entendit fort bien ce que cela voulait dire. M. de Maurepas fut longtemps à causer avec lui. M. Chapelle de Jumilhac, officier des mousquetaires, entra avant huit heures, qui lui montra l’ordre qu’il avait de le conduire à Grosbois, sa terre, à sept lieues de Paris. » (Journal de Barbier.) (R)
  • 3 Chauvelin avait acheté le domaine de Grosbois en 1731 au président Bernard de Rieux, fils de Samuel Bernard Il lui coûta 400 000 livres avec les meubles du château. « Il se vante, dit le marquis d’Argenson, d’avoir payé cette terre au‑dessus de sa valeur, par suite d’un certain amour local qu’il avait pour cette maison qu’il fréquentait de jeunesse, lorsqu’elle appartenait à M. de Harlay. » (R)
  • 4Chauvelin disgracié ne devait plus reparaître à la cour ; de Grosbois il fut exilé à Bourges, puis après la mort du cardinal à Issoire et enfin à Riom. Il rentra à Paris en 1747, où il mourut oublié, le 1er avril 1762, âgé de soixante-dix‑huit ans. (R)
  • 5Nous retrouvons aussi dans le Journal de Barbier un écho de cette opinion « Chauvelin était fort haut, et on se fait bien des ennemis en voulant dominer sur les autres par caractère. » Mais l’auteur de la Vie privée de Louis XV se montre plus indulgent et peut‑être plus équitable pour le ministre disgracié. « Il cherchait, dit‑il, à se rendre agréable à tout le monde ; il ne refusait que ce qu’il lui était impossible d’accorder, et toujours avec une politesse affectueuse, presque équivalente aux grâces ; il accueillait les gens de mérite, il protégeait les beaux‑arts ; il était aimé et estimé des étrangers, qui sortaient d’auprès de lui toujours contents, toujours enchantés.» Le témoignage du marquis d’Argenson n’est pas moins favorable sur ce point à Chauvelin. (R)

Numéro
$0847


Année
1737




Références

Raunié, VI,167-71 - Clairambault, F.Fr.12707, p.167-70 - Maurepas, F.Fr.12634, p.215-18 - F.Fr.12675, p.271-76 - F.Fr.13655, p.286-87 - F.Fr.13662, f°108r-108v - F.Fr.15021, f°42v-43r -F.Fr.15133, p. 386-91 - F.Fr.15137, p.267-72 - F.Fr.15148, p.182-89 - F.Fr.15231, f°172 - Arsenal 2932, f°197v-200v - Arsenal 2934, p.295-300 Arsenal 3133, p. 379-83 - BHVP, MS 548, p.171-75 - BHVP, MS 658, p.198-201 - Mazarine MS 2164, p.426-30 - Mazarine Castries 3987, p. 13-17-  Lyon BM, MS 1553, p.349-54 - Lille BM, MS 66, p.41-45 - Lille BM, MS 67, p.41-45 - Nouvelles de la cour et de la ville, p.24-25