

Les juges de Lally1
Le Sénat se rassemble,
Toute la ville tremble
De voir s’unir ensemble
Les juges de Lally ;
Il n’est que leur folie
D’égale à leur furie,
Et chacun s’écrie,
Le cœur tout transi :
Changez-nous ces dix têtes,
Têtes, têtes, têtes, têtes,
Changez-nous ces dix têtes
Ou nous sortons d’ici.
D’une vertu stérile,
D’une raison débile,
D’un esprit imbécile
Saint-Seine a le renom ;
D’homme il n’a que la mine,
Le Bevi le domine ;
De cette machine
C’est le Vaucanson :
Changez-moi cette tête,
Tête de triste oison.
Discoureur sans science
Et dévot sans croyance,
Bevi n’a de puissance
Que pour la fausseté ;
C’est le feu sous la glace,
Sa douceur vous menace,
Et dès qu’il embrasse
On est étouffé :
Changez-moi cette tête,
Tête de forcené.
Le Jaunon se travaille
Et ne dit rien qui vaille ;
Son esprit vaut sa taille,
Sans talon, sans toupet ;
Hardi par ignorance,
Cruel par insolence,
A sa présidence
Tout sert de hochet :
Changez-moi cette tête
D’impudent marmouset.
D’une éclatante hermine
Couvrant sa laide échine,
Mirmicault imagine
Se cacher tout entier ;
Martin-bâton qui veille
Dérange la merveille
Et saisit l’oreille
Perçant le mortier :
Changez-moi cette tête
D’un âne maltôtier.
Le Sauveur de la terre
Était sur le Calvaire,
Maudit par maint Vérobaire
Et par maint Lornechet,
Il fit cette prière :
Pardonnez-leur, mon père,
Car on ne sait guère
Ici ce qu’on fait :
Changez-moi ces deux têtes
D’ours et de perroquet.
Le Marlieu sans cervelle
Va d’un pied qui chancelle
Du temple à la ruelle,
Et dévot et paillard
Il bat sa Pénélope ;
Mais son œil de cyclope
S’ouvre avec égard :
Changez-moi cette tête,
Tête de vieux cafard.
D’une sourde mémoire
Et de sa robe noire
Le Torci fait sa gloire,
Et va toujours parlant ;
Né sans délicatesse,
Sans esprit, sans justesse,
Dans sa petitesse
Il se croit grand :
Changez-moi cette tête,
Tête de sot pédant.
Le Darceau se présente,
Sa bouche est écumante ;
Il a la main sanglante
Et des grelots au cou.
Vite de l’ellébore,
L’accès est près d’éclore ;
Mais il est encore
Plus méchant que fou :
Changez-moi cette tête
De tigre sapajou.
Dans le romain empire,
Un César en délire
Pour consul fit élire
Un beau cheval fringant ;
Un bœuf parlementaire
Du cheval consulaire
Dans Balon va faire
Le digne pendant :
Changez-moi cette tête
D’animal ruminant.
Ce jeune homme est précoce ;
A vingt-sept ans féroce,
Soumis quand on le rosse ;
Perfide à ses amis.
Aussi comment prétendre
Que la colombe tendre
Du vautour s’engendre ;
La Loge est son fils ;
Changez-moi cette tête,
Ou qu’on la mette à prix.
Dans ces antres sauvages
Il est pourtant trois sages
Objets de nos hommages ;
Ne soyons pas ingrats,
La vertu magnanime
Défendant la victime
Confondra du crime
Les honteux éclats :
Laissez-nous ces trois têtes
De dignes magistrats.
Gautier du premier âge
Nous retrace l’image ;
Rochefort, ton courage
Égale ta candeur ;
Thoré le renouvelle,
Sur ce digne modèle
La Goute fidèle
A formé son cœur :
Conservez ces trois têtes,
Têtes, têtes, têtes, têtes.
Conservez ces trois têtes
Ciel ! pour notre bonheur !
Numéro $1535
Année 1784
Sur l'air de ... Changez-nous cette tête
Description
13 x 12
Références
Raunié, X,115-20 - Mémoires secrets, XXV, 192-97
Mots Clefs Charge contre les juges du parlement de Besançon qui avait refusé la révision du procès de Lally-Tollendal