Chanson sur les chars du prévôt des marchands
Chanson sur les chars du prévôt des marchands1
Monsieur le prévôt des marchands,
Homme de grand entendement
Pour célébrer le mariage
De notre Dauphin a fait rage.
Il a rassemblé tout d’abord
Les magistrats de ville en corps,
Leur a dit : « que nous faut-il faire
Au public si nous voulons plaire ? »
« Ne donnons plus de bal de bois :
On les critiquerait, je crois,
Car on en a dit du mal parce
Qu’ils sentaient un peu trop la farce. »
Sur quoi Messieurs les échevins
Ont dit : « Faudra donner du vin,
Des cervelas en abondance
Et des violons pour la danse. »
Le prévôt des marchands a dit :
« Vous avez tous beaucoup d’esprit ;
Mais ce que vous dites de faire
Me paraît un peu trop vulgaire.
« Faisons promener des chariots
dorés de bas jusques en haut. »
On approuva l’idée à cause
Que c’était une belle chose.
Ainsi, le jeudi, du matin,
Ces beaux chars, au nombre de cinq,
Furent en marche, bien en file,
Par toutes les rues de la ville.
Dans le premier est le dieu Mars,
Qui se tient droit comme un César,
Traîné par des chevaux d’Espagne,
Car on n’allait pas droit à l’épargne.
Il était fait d’un beau carton
Sur un dessin de Bouchardon,
Remuait tant soit peu la tête
Comme pour approuver la fête.
Les cochers et les postillons
Étaient tous couverts de galons,
Rouges comme des écrevisses
Et dorés comme des calices.
Ensuite l’Hymen et l’Amour
Sur le second vient à son tour,
Avec un orchestre qui touche
Tous les airs de monsieur Destouches.
Le troisième était un vaisseau
Argent et bleu, quoique fort beau,
Qui contenait de la mangeaille
Et de quoi faire bien ripaille.
Ceux qui suivent sont merveilleux,
Bien plus plaisants, bien plus joyeux ;
Bacchus est dans le quatrième
Et Cérès est dans le cinquième.
Après s’être bien promenés,
J’ignore où on les a menés ;
Mais au peuple on entendait dire :
« Ça nous a dû bien faire rire ! »
- 1 Le Jeudi Gras, 9 février, jour de mariage du Dauphin, « le corps de ville de Paris a donné pour fête au peuple cinq chars peints et dorés qui, depuis dix heures du matin jusqu’au soir, ont fait le tour des différents quartiers. » (Barbier)
Mazarine Castries 3989, p.266-68 - Marville, III, 144-45