Chanson nouvelle, à l’endroit d’un jeune garçon nommé de Cas… qui fut possédé du Diable
Chanson nouvelle,
à l'endroit d'un jeune garçon,
nommé de Cas…1
qui fut possédé du Diable.
Or écoutez, petit et grands,
L'histoire du vrai garnement
En qui l'affreux libertinage
Avait de loin prévenu l'âge,
Et vous verrez comme il devint
L'esclave de l'Esprit malin.
Enfant, sa nourrice il mordait.
Plus grand, personne il n'écoutait,
Ne voulait point apprendre à lire.
Au maître qui voulait l'instruire,
Hélas ! ce petit malheureux,
Comme un Judas, crachait aux yeux.
Or, à peine avait-il douze ans,
Qu'ayant perdu tous ses parents,
Au lieu de prendre Dieu pour père,
Et la Sainte Vierge pour mère,
Jamais ce déloyal garçon
N'entendait vêpres ni sermon.
Un jour, étant au désespoir,
Je le vis à jeun sur le soir,
Au lieu de mourir sans murmure
De faim, de soif et de froidure :
Il se mit, le cas est vilain,
A blasphémer comme un Calvin.
Le Diable m'emporte, dit-il.
Lors le diable2
qui l'entendit,
Sortit à l'instant de Bicêtre,
Il accourt, puant le salpêtre,
Et prenant l'enfant par la main,
Il l'entraîna chez lui soudain.
Il n'avait pas ses pieds fourchus,
Ses cornes, ni ses doigts crochus,
Pour ne paraître trop difforme.
Même il cachait sa queue énorme,
Et d'un abbé pour cette fois,
Il avait gestes et harnois.
Satan fit repaître l'enfant,
Et près du feu, son élément,
Il le fit asseoir à son aise,
Puis il lui dit, chaud comme braise,
Tout ce que tu vois est à toi,
Si tu veux te donner à moi.
Mon fils, poursuivit-il, je suis
Fléau de tous les beaux esprits ;
Je vis du fiel de la satire ;
À tort à travers je déchire
Les auteurs anciens et nouveaux,
Et souille leurs meilleurs morceaux.
Tout ouvrage nouveau qui plaît,
En moi trouve un censeur parfait ;
Chacun me fuit plus que la peste ;
On me méprise, on me déteste.
Qu'importe, je vis de cela,
Et je trouve un lecteur par là.
Je m'attribue aussi souvent
Ce qu'ont fait les honnêtes gens,
Et d'Echard l'histoire Romaine,
N'est pas de moi, chose certaine,
Je m'en suis pourtant fait honneur,
Comme moi tu seras auteur.
Mais je ne sais ni A, ni B.
Mignon, reprit le Diable Abbé,
Que ceci ne te mette en peine ;
C'est mon affaire, et non la tienne :
Je traduis bien de l'anglais, moi,
Qui ne l'entends pas plus que toi.
Par mon secours tu peux, mon fils,
Voyager par tous les pays.
Mais l'imprudence serait grande,
Si tu tournais vers la Hollande :
Les gens y sont de vrais vauriens,
Qui baignent tous les bons chrétiens3
.
Satan, en lui parlant ainsi,
L'appelait son cœur, son souci,
Il lui promettait des manchettes.
L'enfant gagné par ces fleurettes,
Fit un pacte, et ce fut pour lors
Que le Diable entra dans son corps.
Quand du Diable il fut possédé,
Il fut soudain bel-esprit né.
Par étrange métamorphose,
Il fit la tragédie en prose.
Pour déchirer des gens de bien.
Ce coup d'essai ne valut rien.
Le Diable lui fit faire après,
Le triomphe de l'intérêt,
Ou bien plutôt celui du vice :
Car chaque acteur et chaque actrice
Était banqueroutier, coquin,
Maquereau, voleur ou putain.
Le jeune garçon, sans pudeur,
Criait partout : je suis l'auteur
De ce triomphe, je vous jure.
Mais on lui dit : c'est imposture,
Il est de l'un à l'autre bout
Du Diable abbé, qui te fait tout.
Éloignez bien, pauvres parents,
De ce Satan vos chers enfants,
Fût-ce un enfant né de Savoie,
C'est fait d'eux, s'il faut qu'il les voie.
Mais retenez bien le portrait
De ce Démon porte-collet.
Il a le teint des plus tannés,
De petits yeux noirs enfoncés :
D'un Maure il a la grosse lèvre,
Le nez écrasé d'une chèvre,
Une gueule qui toujours pue,
Et plus qu'une ours toujours velu.
Or donc, prions Dieu qu'en enfer
Il replonge ce Lucifer,
Et qu'il inspire à la justice,
De mettre en lieu sûr ce novice,
Où, bien et dûment fustigé,
Il pleure longtemps son péché.
- 1Chanson nouvelle à l’endroit d’un jeune garçon nommé Du Castre qui fut possédé du diable (élève de l’abbé Desfontaines). On entend bien que cette chanson d’un bout à l’autre est une invective contre cet abbé (Castries)
- 2L'abbé Desfontaines (M.).
- 3 Allusion au supplice infligé aux Sodomites en 1730 (M.).
1732/1735, III,113-17 - 1752, III 113-17 - Mazarine Castries, 3986, p.359-65 - Arsenal 3133, p.125-29 - Stromates, I,517-20
On dit l'abbé Nadal auteur de cette pièce qui a été imprimée en Hollande en 1731 (Arsenal 3133)