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Adieux à la chambre de justice

Adieux à la Chambre de justice1
Puisque ces messieurs vont partir,
Cesse d'échauffer mon oreille ;
Muse, ne peux-tu consentir
Qu'un de tes nourrissons sommeille?
En vain je résiste à tes lois.
Dussions-nous avoir sur les doigts,
Faisons ce qu'Apollon commande :
Il veut aujourd'hui par ma voix
Prendre congé de cette bande.

Je vais commencer par Rouillé,
Directeur d'une indigne farce,
Qui toujours de vin barbouillé,
Symphonise ou suit une garce.
Rouillé, que j'aime à te brusquer !
Que j'ai de joie à t'attaquer !
Je veux te blesser et t'abattre,
Et je prétends te démasquer
Bien mieux qu'on ne fît au théâtre.

Quand du Conseil tu fus chassé,
Tu retournas, dis-tu, tes poches.
Ce discours si bien compassé
N'impose qu'aux faibles caboches.
A quoi bon feindre ? montre-toi,
Nous connaissons ta bonne foi.
Gallois entre dans ta famille,
Et tu prends sur les droits du roi
Les fonds dont il dote sa fille.

Sur mon front dressent mes cheveux;
J'entends aboyer le Cerbère2 .
Mais je me trompe, c'est Fourqueux.
Il faut croquer son caractère :
Plus âpre au gain que n'est un juif,
Fourbe, cruel, vindicatif,
Homme enfin à tout entreprendre ;
Tremble, Villeneuve3 chétif,
Tu n'as pas pris son fils pour gendre.

Pour sortir bientôt de ces lieux,
Grands dieux, montrez-nous la route.
Je vois un lion furieux,
Des Forts va tout mettre en déroute :
Capricieux, vain et cruel,
Son indomptable naturel
Aux yeux de tous vient de paraître ;
On ne voit que lui sous le ciel,
Méchant pour le plaisir de l'être.

Oui, je te le dis, Lamoignon,
Rejeton d'une illustre race
C'est malgré mes voeux que ton nom,
Dans mes couplets trouve sa place.
Enivré d'un fatal poison,
Des fondateurs de ta maison,
Crains d'entendre les tristes mânes ;
Ils vont te demander raison
De leurs vertus que tu profanes4 .

Puisque nous allons si bon train,
Ferme, ma muse continue.
Pourquoi quittes-tu le terrain ?
Je te vois enfuir dans la nue :
Nomme du moins quelques suppôts,
Ollier, Mesnet et Bigot,
Plus pillards que n'étaient les reîtres5 ,
Et, pour dire tout en un mot,
Vrais imitateurs de leurs maîtres.
Au revoir !

  • 1Révoquée par édit du mois de mars 1717
  • 2Chien à trois gueules qui gardait la porte des enfers. (R)
  • 3Laurent François de Villeneuve, fermier général, fut taxé à 120.000 livres. (Ibid.)
  • 4Lamoignon se couvrit de honte par une basse cupidité. (R)
  • 5De l’allemand Reiter, qui signifie cavalier. Ce mot que l’on appliquait d’abord à la cavalerie allemande des armées protestantes du XVIe siècle, devint bientôt synonyme de soldat brutal et pillard. (R)

Numéro
$0170


Année
1717 (Castries)




Références

Raunié, II, 162-165 - Clairambault, F.Fr. 12696, p. 247-49 - Maurepas, F.Fr.12629, p.49-51 - F.Fr.9352, f°83r-84v - F.Fr.12500, p.138-140 - F.Fr.13655, p.123-25 -F.Fr.15019, f°96-98 - Arsenal 2937, f°186r-186v et 207r-208r - Arsenal 2961, p.404-407 - Arsenal 2975/3, p.86-89 - Arsenal 3128, f°123r-124r - Arsenal 3132, p.301-304 - Mazarine Castries 3982, p. 78-81 - Mazarine, MS 435, Pièce 27 - Lyon BM, MS 757, f°134-135