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La Suppression de la chambre de justice

La suppression de la Chambre de justice
Peuples français, soyez joyeux,
Philippe veut voir par ses yeux
Tout ce que Noailles fera.
Alleluia !

Ce prince lorgne, on le sait bien,
Et n'y distingue presque rien,
Mais d'Aguesseau l'éclaircira.

Déjà ce nouveau chancelier1
A pulvérisé sans quartier ;
Le monstre que Rouillé forma2 ;

Monstre à trois têtes, monstre affreux :
Lamoignon, Portail et Fourqueux,
On vous connait à ce trait-là.

Vos injustices sont des coups
Qui doivent retomber sur vous ;
Un jour du Bourg3 vous jugera.

Votre rage, votre fureur,
Aux enfers même fit horreur,
Et la France s'en ébranla4 .

Mais, heureusement abattus,
Vous avez été battus.
Dès ce jour tout se rassura.

Pour bien remettre les esprits,
Qu'on écrase jusqu'aux débris,
Fagon, Des Forts et cœtera.

Ou bien que Rouillé soit pendu.
Il ne faut qu'un grain de perdu,
Le chapelet défilera.

Pour ce docteur et ses suppôts,
Chacun voudrait pouvoir bientôt
Entonner Salve Regina.

Si l'on avait tant de bonheur,
On retournerait de bon coeur
Danser au bal de l'Opéra.

Pour d'Aguesseau faisons des voeux ;
Qu'il soulage les malheureux5 ,
La confiance reviendra.

Qu'il se fasse honorer longtemps ;
Que personne, devant cent ans,
Ne lui dise des Libera.

Que par lui le prince Régent
Soit juste, pieux, indulgent,
Et tout le monde chantera.
Alleluia !

  • 1Daniel Voisin, chancelier de France, étant mort subitement, le 2 février 1717, le Régent nomma d’Aguesseau à sa place. Duclos rapporte à propos de cette nomination une anecdote piquante. « D’Aguesseau, dit‑il, revint chez lui (après avoir reçu la cassette des sceaux), et rentra dans l’appartement de son frère, d’Aguesseau de Valjouan. Celui‑ci, homme de beaucoup d’esprit et de savoir, mais paresseux, voluptueux très singulier et fort indifférent sur tous les événements, était encore en robe de chambre et fumait tranquillement une pipe près du feu. — Mon frère, lui dit d’Aguesseau, je viens vous annoncer une nouvelle qui vous fera grand plaisir : je suis chancelier. — Vous, chancelier ? lui dit froidement Valjouan, et sans se détourner : qu’avez-vous fait de l’autre ? – Il est mort subitement et le roi m’a donné sa place. – Eh bien ! mon frère, j’en suis bien aise, reprit Valjouant, j’aime mieux que ce soit vous que moi ; et il continua de fumer sa pipe. » (R)
  • 2« Quelques jours avant la semaine sainte le chancelier alla le matin à la Chambre de justice la remercier et la finir. Elle avait duré un an et quelques jours et coûta onze cent mille francs. Lamoignon s’y déshonora pleinement, et Portail y acquit tout l’honneur possible. Cette Chambre fit beaucoup de mal et ne produisit aucun bien. Le mal fut les friponneries insignes, les recélés, les fuites et le total discrédit de tous les gens d’affaires à quoi elle donna lieu, le peu ou point de bien par la prodigalité des remises qui furent faites sur les taxes, et les pernicieux manèges pour les obtenir. » (Saint-Simon.) — Voici en quels termes d’Aguesseau congédia la Chambre : « Je viens vous annoncer la fin de vos travaux, et vous marquer en même temps ce qui ne doit point finir, je veux dire la satisfaction que le roi et monsieur le Régent conserveront toujours du zèle et du courage avec lequel vous avez fourni cette haute carrière. […] Vous savez que les remèdes mêmes peuvent quelquefois devenir des maux quand ils durent trop longtemps. A la vue d’une multitude de criminels qui, par le mélange du sang et des fortunes ont su intéresser jusques aux parties saines de l’État, le public effrayé tombe dans une espèce de consternation et d’abattement qui retarde ses opérations et qui fait languir tous les mouvements du corps politique. […] La même sagesse qui a donné l’être à la Chambre de justice en ordonne aujourd’hui la fin, et vous renvoie à des fonctions plus douces. » (R)
  • 3Les Du Bourg sont nombreux à cette époque ; on peut en compter jusqu’à six dans le Journal de Dangeau, et aucun d’eux ne paraît être celui dont il est ici question. (R)
  • 4« Le peuple, disait encore d’Aguesseau, aime le spectacle d’un châtiment prompt et rigoureux, mais il ne peut en soutenir la durée, et laissant bientôt affaiblir sa première indignation contre les coupables, il s’accoutume presque à les croire innocents, lorsqu’il les voit longtemps malheureux » Les Mémoires de la Régence expriment la même opinion. « On ne songeait plus que la plupart des prévenus étaient des concussionnaires, qui, sous prétexte d’enrichir le roi, avaient appauvri le royaume, pour n’enrichir que leurs familles et qui s’étaient engraissés des malheurs de la France, et on commençait à les plaindre, puisqu’on croyait de partager leurs malheurs. » (R)
  • 5« Monsieur le chancelier sentait mieux que personne le tort que faisait la Chambre de justice. Comme elle avait jeté la terreur de toutes parts, elle avait occasionné une confusion générale et un discrédit dans les affaires et dans le commerce, dont le royaume aurait eu peine à se relever. Le chancelier qui était pénétrant ne tarda point à y apporter le remède. Il présenta donc un édit qui portait une amnistie générale pour tous les coupables ». (Mémoires de la Régence.) (R)

Numéro
$0171


Année
1717




Références

Raunié, II,165-69 - Clairambault, F.Fr.12696, p.265-66 - Maurepas, F.Fr.12629, p.69-71 - F.Fr.13655, p.107-08 - Arsenal 2937, f°136r-137r - BHVP, MS 551, p.344-46