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Apologie de la chambre de justice

Apologie de la Chambre de justice
Toi qui, nouveau singe d'Alcée,
Dans tes vers remplis de fureur,
Ne présente à notre pensée
Que sang, que carnage et qu'horreur ;
Toi qui, contre la voix publique,
Nous crois sous un joug tyrannique,
Traître, qui que tu sois, apprends
Que ta Muse patibulaire
Aurait eu déjà son salaire
Si nous vivions sous un tyran.

Artisan de vaines paroles,
Tu te fais un puérile jeu
D'extravagantes hyperboles,
De torrents de soufre et de feu.
Ne dirait-on, pas à t'entendre,
Que la France n'est plus que cendre,
Et que, par un destin cruel,
Elle voit son terroir fertile
Dévoré, comme la Sicile,
Par les flammes du mont Gibel1  ?

Pour quatre concussionnaires
En spectacle au peuple donnés,
Par toi du nom de sanguinaires
Nos juges sont déshonorés ;
Et lorsque avec tant de clémence
Ils punissent d'un vol immense
Les abominables auteurs,
Tu les peins en loups pleins de rage,
Qui confondent dans le carnage
Et les troupeaux et les pasteurs.

Les maltôtiers, monstres avides,
Eux-mêmes vrais loups ravissants,
Toujours affamés de subsides,
Suçaient les peuples gémissants.
Avaient-ils rongé la province,
Des peuples ils passaient au prince ;
Et ces trop indignes mortels,
Bravant les plus saints privilèges,
Étendaient leurs mains sacrilèges
Jusqu'à dépouiller nos autels.

Rimeur de maltôtière engeance,
Fauteur de tailles et d'impôts,
Tu vomis contre la Régence
Les plus séditieux propos.
Pendant qu'un prince des plus sages
Veut ramener ces heureux âges,
Ces temps de justice et de paix,
Contre lui tu lèves l'enseigne,
Pour ramener l'odieux règne
Des Miot et des Bourvalais.

De tels Achilles digne Homère,
Apologiste de forfaits,
Thémis pour toi trop débonnaire,
Est digne de blâme en effet.
Si ce tribunal respectable
Eût sondé d'un œil équitable
Ton cœur en malice fécond,
On eût vu, gravé sur le cuivre,
Un arrêt qui t'aurait fait suivre
Tes ancêtres à Montfaucon.

Et vous qui, charmés de l'ouvrage
De cet auteur pétri de fiel,
L'élevez par votre suffrage
Au-dessus du troisième ciel,
De par Phebus, je vous déclare
Qu'un jugement aussi bizarre
N'inspire pour vous que l'horreur ;
Et qu'en louant cette satire
Vous joignez… oui… je l'ose dire,
Le mauvais goût au mauvais cœur.

Non, ce n'est point de l'Hippocrène2
Qu'ont coulé ces infâmes vers ;
Calliope ni Melpomène3
N'inspirent point l'auteur pervers.
Si quelquefois à la satire
Les doctes Sœurs daignent souscrire,
C'est contre le vice odieux ;
Mais à présent sur le Parnasse,
Dans leurs hymnes chacune place
Philippe au rang des demi-dieux.

Par lui la paix et l'abondance,
Filles des conseils éclairés,
Vont renaître au sein de la France,
Et tous nos maux sont réparés.
Sous un héros doux, équitable,
Loin du traitant insatiable,
Sera l'asile du bonheur.
De l'Océan aux Pyrénées,
Dans les campagnes fortunées,
Le peuple en bénira l'auteur.

  • 1Nom moderne de l’Etna. (R)
  • 2Fontaine consacrée aux Muses, que le cheval ailé Pégase avait fait jaillir d’un coup de pied. (R)
  • 3Muses de la poésie héroïque et de la tragédie. (R)

Numéro
$0169


Année
1717




Références

Raunié, II,158-62 - Lyon BM,MS1673, f°103r-103v


Notes

Réplique à $0168