Sans titre
Quoi ! dira-t-on, rien ne retient
Ton ardeur indiscrète1 ?
Quand au seul Voltaire il convient
D’emboucher la trompette,
Je veux célébrer de mon Roi
La victoire éclatante,
Et des héros de Fontenoy
La valeur triomphante.
Je ne prétends point aux lauriers
Que Voltaire partage
Avec les illustres guerriers
Dont il trace l’image.
Il peut avec eux se placer
Au temple de Mémoire.
Quand je chante pour m’amuser
Qu’il chante pour sa gloire.
Louis est mon maître et le sien,
Je suis sujet fidèle ;
Pour ne pas m’exprimer si bien,
En ai-je moins de zèle ?
Jupiter reçoit des mortels
L’encens le plus vulgaire
Qu’on offre au pied de ses autels
S’il part d’un cœur sincère.
Quand le rossignol dans nos bois
Brille par son ramage,
Entend-on moins de mille voix
Retentir le bocage ?
Tous les oiseaux au point du jour,
Chacun dans leur langage,
En rendront-ils moins à l’Amour
Un innocent hommage ?
Cependant, n’imagine pas
Que ma muse timide
Rappelle ces sanglants combats
Où brillait notre Alcide.
Peut-on sans horreur, sans effroi,
Se retracer l’image
Des périls affreux où mon Roi
Volait avec courage.
Quel est le héros que je vois
A travers la fumée ?
Ah ! c’est Biron dont les exploits
Lassent la renommée.
Dans tous les périls tour à tour
On vit réduire en cendre
Trois Bucéphales en un jour
Sous le même Aleandre.
Mais quel est cet autre guerrier
Que la gloire environne ?
C’est Richelieu que le laurier
Joint au myrte couronne.
En grâce, en valeur, en vertu
Nul autre ne l’égale.
Serait-ce Hercule que j’ai vu
Filer auprès d’Omphale ?
Lowendal, Luteaux, Montesson
On vous doit la victoire.
Soubise, Ayen, Guerchy, Crillon
En partagent la gloire.
Mais je ferais de ma chanson
Un vrai martyrologe
En citant ici chaque nom
Qui seul fait un éloge.
Roi qu’admirent les étrangers
Et que ton peuple adore,
Ah ! n’affronte plus les dangers
Dont il frémit encore.
Content de ce que ta valeur
A prouvé pour ta gloire,
Viens dans son sein pour son bonheur
Jouir de ta victoire.
Reviens dans ta brillante cour
En ranimer les charmes.
Tu connais assez notre amour
Par nos tendres alarmes.
Tu sais ce qu’il nous en coûta
De soupirs et de larmes
Quand un mal subit arrêta
Le progrès de tes armes.
Tu vis quels furent nos transports
De joie et d’allégresse
Lorsque ton retour sur ces bords
Charma notre tendresse ;
Ton temple d’amour animé
Te fis assez connaître
Qu’il n’est point un roi plus aimé
Ni plus digne de l’être.
Reviens dans ce charmant séjour
Pour embellir nos fêtes
Et sous les drapeaux de l’Amour
Faire d’autres conquêtes.
Des plaisirs, des ris et des jeux
La cohorte légère
Chante déjà d’un air joyeux :
Mars revient à Cythère.
Toi, jeune aiglon, qui de si près
As vu réduire en poudre
Ces tyrans dont les vains projets
Ont allumé la foudre,
Je crains tout de la noble ardeur
Qui dans ton sang bouillonne
Et que l’Amour n’ait pour ton cœur
Moins d’attraits que Bellone.
Viens te rendre aux pleurs de l’Amour
De cette Hébé nouvelle
Qui soupire après le retour
D’un époux digne d’elle.
Unique et digne rejeton
D’une si belle tige,
Tu sens ce que d’un si grand nom
Notre bonheur exige.
Il en attend des demi-dieux,
Des héros et des grâces
Qui de leurs augustes aïeux
Suivent les nobles traces
Des rois, des princes, qui toujours
Effacent tous les autres.
N’expose donc plus d’heureux jours
D’où dépendent les nôtres.
Quoiqu’il soit bien vrai dans un sens,
Grand Roi, que ta présence
Vaut trente mille combattants
Armés pour ta défense,
Tes périls causent un effroi
Dont toute âme est atteinte.
Ah ! s’ils ne craignaient pour leur Roi
Auraient-ils d’autre crainte ?
Entre les mains de ce Saxon,
Si fameux dans la guerre,
Tu confies avec raison
Ta gloire et ton tonnerre.
Quoique souffre ce fier guerrier,
Quelque mal qui l’accable,
Son cœur reste toujours entier
Et son bras indomptable.
- 1Ces couplets sont faits par l’abbé de Lattaignan. Ils ont été imprimés à l’exception du douzième.
Maurepas, F.Fr.12648, p.227-32 - BHVP, MS 542, p.376-84 - Mazarine Castries 3989, p.141-51
[Louis XV entre la victoire de Fontenoy et sa récente liaison avec la future Marquise de Pompadour.]