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Extrait des livres journaux du Régiment de la Calotte, lettre P., N° 4

Extrait des livres journaux du Régiment de la Calotte, lettre P. n°. 4.
Le Régiment du Dieu Momus,
Ennemi de la prud’homie,
Aussi plaintif que Jérémie,
Déplorait ses beaux jours perdus.
Troupe inégalement payée,
Et dans la paix mal soudoyée,
Nos guerriers tristes et dolents
Ne riant que du bout des dents,
Vivant d’industrie et de quête,
Comme des moines mendiants,
Ont enfin présenté requête
Contre Bontems leur trésorier,
Disant que le pauvre officier,
Pensionnaire de la Calotte,
Réduit à vivre d’échalote,
Ne peut rien tirer du caissier.
De plus, ses livres sans paraphe,
Sans méthode, sans orthographe,
Griffonnés par pattes de chat
Sentent de loin le péculat.
Car la probité des comptables
Se fait voir par les belles tables,
Par grilles, vignettes, fleuron,
Par lignes au cordeau tirées,
Lettres majeures colorées,
Lacs d’amour à triple cordon.
Cette finance enluminée,
Appâts d’une tête bornée,
De nos jours a pris l’ascendant
Sur l’esprit d’un surintendant,
Et Momus veut qu’en tous les âges,
Son peuple adore les images.
Sur ces plaintes, le Sieur Aymon
Prenant sa calotte de plomb,
A requis la gent calotine
Pour juger de cette rapine
De rassembler Mercure et Mars,
Les financiers et les Césars.
Un Caton y ferait naufrage,
Il n’est assez d’un parlement,
Il faut pour ce cas important
Tout au moins un aréopage.
Sur une requête si sage,
Pièce inspirée par Momus,
Moins claire que Nostradamus,
On assemble des commissaires,
Qui par la loi du préjugé
Veulent que Bontems soit jugé ;
Que sa charge avec les salaires
Soit remise aux frères Pâris
Qui, par leurs débits et crédits,
Par des cartes bien assorties,
Régissant en doubles parties
Les finances du Régiment
Les doubleront certainement.
Plus, que des lettres soient données
Contre toutes les plaintes formées
Pour faux saunage, faux serment,
Faux billets et faux testament,
Et semblables tours de souplesse,
Premiers essais de leur jeunesse,
Dont procès et décrets en bloc
Demeureront pendus au croc,
Et ce pour leurs travaux immenses
Dans tous les genres de finances.
Nos financiers du temps passé,
Sans journaux, sans dictionnaires,
Ont gâté toutes les affaires
Faute de savoir l’a, b, c.
Tel est l’éclatant témoignage
Que leur donne l’aréopage,
Admirant le rare pouvoir
De deux grands mots, doit et avoir,
Lesquels sans doute par magie
Nous ont prédit en moins de rien,
Et la misère et la folie,
De Momus l’unique soutien.
Pour donc cacher l’art et la source
De cette importante ressource,
Momus, en comique appareil,
Descend au milieu du conseil,
Ordonne que les quatre frères,
Pour ne divulguer ces mystères,
Jamais ne mêleront leur sang
Dans des familles étrangères,
Leur livrant le cœur et le flanc
De leurs sœurs, nièces et cousines
Pour épouses ou concubines ;
De peur que subrepticement
Le lien d’une autre famille
N’introduise dans leur quadrille,
La sagesse et le jugement,
Qui, supprimant et table et grille,
Feraient périr en un instant
Les ressources du Régiment.
Mais pour maintenir leur séquelle,
Cette synagogue nouvelle
Aura privilège exclusif
D’imiter le précepte juif.
Et se fait fort le divin Mome
D’en avoir dispense de Rome.
Que si l’un d’eux par trahison,
Faisant sortir de la maison
La marotte qu’on leur confie,
Livrait un jour à la raison
L’art du compte en double partie,
Momus ordonne qu’un poteau
Soit élevé près de son temple
Pour la terreur et pour l’exemple ;
Qu’en tête soit mis écriteau,
Où le peuple étonné contemple
Inscrit en caractère noir
Le logogriphe, doit et avoir.
À ces mots, faisant cabriole,
Momus rit, s’élance et s’envole.
Chacun par un salut profond,
Met bas sa calotte de plomb.
Et d’abord sa prudente école
Ordonne au général Aymon
D’en donner prompte connaissance
Et d’en expédier l’arrêt.
Tiré des journaux par extrait,
Aux calotins de la finance,
Ce qui fut fait et fut écrit,
Comme il avait été prescrit.

 

Numéro
$4050





Références

1725, I,183-87 - 1726, 130-33 - 1732/1735, I,182-86 - 1752, I,182-86 - F.Fr.9353, f°117v-119v - F.Fr.10475, f°198-200 - F.Fr.15016, f°247r-252r - F.Fr.20036, p.229-35 - F.Fr.25570, p.276-80 - NAF.2485, f°19r-20v et f°21 -  NAF.9184, p.241-42 - Arsenal, 2935, f°236r-237v - Arsenal, 3128, f°294r-296r et 299v (les 12 premiers vers rayés) - Arsenal, 3359, p.124-28 - BHVP, MS 663, f°164v-165r - BHVP, 664, f°181r-185v - Bordeaux BM, MS 693, p.604-08 - Bordeaux BM, MS 700, f°155v-160r - Grenoble BM, MS 587, f°86v-88r - Lille BM, MS 64, p.366-74 - Marais, II, 638 (Une quinzaine de vers pris dans le corps du texte)


Notes

Contre Bontems, trésorier de la Calotte, et en fait contre les frères Pâris. Cité dans Marc Cheynet de Beaupré, Joseph Pâris-Duverney (2016), t. II, p.54 et 86-87 [présentés comme deux textes différents]