Lettre du Roi de Corse à l'évêque de Rennes
Lettre du Roi de Corse à l’évêque de Rennes
Nous, par la grâce de Dieu, Théodore, Roi de Corse, à notre très cher et féal, le Sieur de Vauréal, évêque de Rennes.
Très cher et féal,
Ayant été tiré par notre seule audace de l’obscurité où la Providence nous avait placé, conduit par notre seule industrie à la fortune dont nous jouissons aujourd’hui, et ne pouvant être maintenu que par notre extrême impudence dans le rôle difficile que nous avons entrepris, nous ne saurions avoir trop d’attention à recueillir dans tout le monde des illustres sujets qui puissent affermir par leurs talents notre Empire encore incertain ; les Rois assez grands par les bons choix qu’il font, doivent-ils craindre d’être obscurcis par leurs ministres ? Ils sont trop heureux au contraire d’en trouver dont la capacité et l’ambition puissent répondre à leurs projets.
À ces causes, la renommée nous ayant suffissamment instruit des rares qualités par lesquelles, sans naissance, sans mœurs, sans protections, sans vertus, vous auriez su parvenir en France aux premières dignités de l’état ecclésiastique, de l’impudence singulière avec laquelle vous affrontez les reproches, et le danger où votre conduite téméraire et scandaleuse vous expose journellement, nous avons jugé ne pouvoir acquérir un sujet plus propre à nous soulager dans les fonctions pénibles de notre nouvelle domination et à donner des lois convenables aux bandits que la Providence a confiés à nos soins. L’histoire de votre vie apprendra à mes sujets obscurs et inconnus qu’ils peuvent prétendre à subjuguer le monde entier ; l’exemple de votre fortune les mettra en garde contre la vertu ; la vue de votre arrogance leur montrera que l’audace sait triompher de la force. Ainsi, ne craignant point de prématurer des grâces que vous ne sauriez manquer de mériter, nous vous revêtissons en ce moment et par ces présentes, de la Pourpre cardinale, vous envoyant notre premier chapeau ; nous vous créons et nommons notre principal Ministre, vous enjoignant de vous rendre au plus tôt auprès de notre personne royale.
Vous permettons au surplus de transporter et faire conduire dans notre île toutes les filles, femmes, veuves, religieuses et princesses que vous avez pu suborner dans le courant de votre vie ; vous pourrez pareillement joindre à cet envoi tous les enfants qui auront pu provenir d’icelles, que vous ferez au plus tôt tirer des Enfants trouvés, hôpitaux, maisons de force, séminaires et vils métiers dans lesquels ils pourraient être dispersés. Vous donnons notre parole royale qu’ils seront tous nourris, pourvus et élevés aux premiers emplois de notre État, suivant leur âge et leur capacité, et à votre prédilection particulière.
Fait dans les montagnes de la Corse, l’an de grâce 1729. Et de notre règne le quatrième. Signé Théodore Roi ; et plus bas, Oglitorp Mezeirer.
1754, VI,92-94
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