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Brevet de Momus adressé aux Comédiens-Français du théâtre de Paris

Brevet de Momus adressé aux Comédiens Français

du Théâtre de Paris1

De par nous, Dieu de la Calotte

Et de toute race falotte,

À mes très fidèles sujets,

Salut aux comédiens français.

Des changements dans votre troupe2

M’ont fait redouter un moment

Que désormais votre chaloupe

De la raison, du jugement

N’empruntât le gouvernement.

Clairon, que l’art rend admirable,

Que j’ai nourrie et qui m’accable,

A déjà chassé le panier,

(célèbre fruit de mon métier).

À son ton noble elle accoutume

Et me fera bien d’autres tours.

Folle esclave de son costume,

Elle nous jouera quelques jours

Sans cotillon, chemise, atours,

Alzire en ceinture de plume.

Dumesnil réglant sa chaleur,

Jouera désormais sans cascade,

Son bras n’aura plus de façade

Et ses finales moins d’aigreur.

Le gros et ventru petit-maître,

Grandval, aimable en cheveux gris

Pour plaire n’aurait qu’à paraître

Dans d’autres rôles que jadis.

Gaussin. dont l’aimable figure,

Dont l’organe fit le succès,

Des ans vous éprouvez l’injure,

Ce ton qu’on [croyait] la nature

Paraît monotone à l’excès.

Sarrasin,, que son âge chasse

Et dont aucun ne suit la trace,

Dubois, guindé de toute part,

Cachera qu’il n’a que de l’art.

Gentille idole de la scène,

Dangeville à qui s’adresser

Pour être sûr que l’on parvienne

Quelque jour à vous remplacer ?

De ses poumons, Le Kain prodigue

N’épargnera travail ni soin

Pour sauver à tous la fatigue

De le voir s’emporter trop loin.

Conduit par son humeur docile,

Peut-être le pâteux Belcour,

Pour soi rempli d’un peu d’amour,

Cessera d’ennuyer la ville.

Tous vont corriger leurs défauts.

Le barbouillé la Thorillière,

Bonneval, acteur de tréteaux,

La petite Hus, la minaudière,

Malgré sa petitesse altière,

Va tâcher de nous faire voir,

Qu’on peut suivre cette carrière

Sans talent, sans goût, sans espoir.

La Mothe, vieille complaisance,

La belle et naïve Guéant,

La Grandval. faisant son gnagnan,

Drouin, vilainement méchante,

La Lavoix, l’utile brillant,

Paulin., au jeu dur et pesant,

La [ill.] Madame Préville.

Le niais et sot Dangeville.

Et jusqu’à Du Breuil. et Le Grand,

Tous doivent donc, pour ma ruine3 ,

S’unir pour la première fois.

Quand de tels revers j’examine,

Ja ma marotte est aux abois.

Mon cerveau devenu tranquille,

En voyant qui souffle ce feu,

À votre peur dites adieu.

Rien ne se fait que par Préville,

Gentil, mignard et singe habile,

Qui, loin d’Armand le polisson

Et du naturel de Poisson,

Mais fuyant toute négligence

Charme par sa seule présence.

En le prenant sur pareil ton

Moquez-vous du Qu’en dira-t-on.

Déjà la garde militaire

A fait, contenant le parterre,

Du public un être muet,

Faites-lui de tout point connaître

Que devant lui vous pouvez être

Impertinents tant qu’il vous plaît

Et je permets votre réforme.

Vous la ferez, je crois, conforme

À mon esprit, à mes désirs.

Qu’en vain un orgueilleux vulgaire

Vous pense faits pour ses plaisirs,

Faites-lui voir tout le contraire.

Jamais entre vous nul accord ;

Vous plairez sans aucun effort ;

Ne vous forgez point des chimères

De ce qu’en dira tout Paris ;

Comptez que vous serez suivis

En représentant les misères

Des L. C, des L. M.

Cabalez contre tout début

Faisant ombrage à vos lumières,

Et n’acceptez pour vos confrères

Que la crasse, que le rebut

De nos provinces ou du Temple

Certains que de pareils sujets

Pour suivre votre digne exemple,

Seront des compagnons parfaits.

Croyez augmenter vos recettes,

Mais n’allez pas payer vos dettes.

Pour croître le prix des billets,

Bien avez trouvé vos ballets.

Très détestable est votre danse,

Des plus mince en est la dépense,

Le produit est affiché.

Pour la plupart de vos danseuses

Sont des nymphes à bon marché,

Que le désir d’être chanceuses,

Vous procure presque pour rien.

Chez vous cherchant quelque [ruffian],

Elles viennent se mettre en vente,

De leurs besoin vous tirez rente,

Il faut leur4 ôter tout moyen

En leur défendant la coulisse5

D’avoir chez vous nul bénéfice.

Il faut les soustraire aux chalands

En leur fermant l’amphithéâtre6 .

Souffrez-les à votre théâtre

Pour se ruiner en rubans

Ma foi, vous en avez les gants

En machinant traités semblables

Et contraignant chez vous les diables

D’aller nicher en paradis.

De plus encore, je vous le dis,

Le revenu de vos coulisses

Doit advenir à vos actrices ;

En négligeant ainsi leurs droits,

Vos Dames ont vu leurs pratiques

Désertant leurs vieilles boutiques,

Les laisser souffler dans leurs doigts.

Voyant faire à notre cohorte

Une sottise à chaque pas.

Courez vous [donner] de la sorte

Un maître que vous n’aviez pas7 .

À sa voix ouvrez votre porte,

Et contre vous fâchez D…8 ,

Dont le penchant bon à l’extrême

Fait voir en vous combien il aime

À servir même des ingrats.

Supprimez quatre cents entrées9

À gens qui toutes les soirées

Venaient bâiller à vos dépens,

Et qui contre vous mécontents

Vous loueront si bien à la ronde

Que vous en aurez moins de monde.

Marchez à rebours du bon sens

Et je vous donne de ma grâce

Un rang dans ma première classse

Comme mes comédiens d’été.

Sous condition, bien signée,

Que ne seront jamais ôtés

Vos girandoles de côté,

Votre planche lampionnée,

Et deux lustres dont la fumée

Fait jurer plus d’un spectateur

Qui ne connaît pas son bonheur

Et combien chez vous chacun gagne

En ne voyant pas maint acteur.

Fait au milieu de la campagne,

Dans le royaume des cocus,

Signé de notre main, Momus.

  • 1Les folies ne sont pas rares ; mais les bonnes folies qui ne nuisent à personne et amusent le public ne sont guère communes : nous croyons que le brevet que nous allons faire connaître est de ce nombre ; il y a des choses fort plaisantes ; mais aussi il y en a d’autres trop piquantes et quelquefois un peu outrées : il est bien difficile de plaire dans ce siècle, à moins qu’on ne soit méchant, et malheureusement il est si aisé de l’être ! Nous nous gardons de rapporter certains traits qui déchirent quelques acteurs ; comme citoyens, ils doivent avoir part à notre retenue ; ce serait nous associer à la méchanceté de l’auteur de ce brevet et nous sommes bien éloignés de l’applaudir en tout (CLK).
  • 2Les Comédiens sont occupés depuis plus d’un mois d’une multitude de nouveaux arrangements (CLK)
  • 3 Momus craint que tous les acteurs qu’il passe en revue et auxquels il donne de cruels coups de marotte ne se corrigent de leurs défauts. (Journal encyclopédique)
  • 4A l’égard des danseuses. (Journal encyclopédique)
  • 5 Les Comédiens ont fait un règlement qui défend aux danseuses d’aller et de rester dans les coulisses, d’entrer dans l’amphithéâtre, et par lequel ils ne leur accordent leur entrée pour voir les spectacles qu’aux troisièmes (CLK).
  • 6Les comédiennes ne veulent pas que les danseuses se tiennent au chauffoir ni à l’amphithéâtre où elles-mêmes se trouvent, parce qu’elle croient qu’il n’est pas de la dignité de leur état d’être confondues avec des faiseuses de cabrioles. (Journal encyclopédique)
  • 7Les Comédiens du Roi ont fait une visite, par députation, à M. le G... de P. qui, dès le lendemain, leur a envoyé la liste des gens à qui il donne leurs entrées à la Comédie, ce qu’ils n’ont pas pu refuser (CLK).
  • 8M. le D... de D... les a blâmés et réprimandés publiquement (CLK).
  • 9Ils ont ôté à 400 personnes leurs entrées à la Comédie, prétendant qu’ils ne les avaient que par abus (CLK).

Numéro
$4578


Année
1758




Références

CLK, janvier 1758, t.I, p.289 - Journal encyclopédique, février 1758, p.117-22