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Arrêt rendu au Conseil d'Etat d'Apollon à l'occasion des disputes qui se sont élevées au sujet des deux puissances (comédienne et partérienne)

Arrêt rendu au Conseil d’État d’Apollon, à l’occasion des disputes qui se sont élevées au sujet des deux Puissances

(Comédienne et Partérienne)1

Apollon étant informé qu’à l’occasion de quelques écrits, et principalement d’un arrêt de son Conseil en forme de Déclaration, où le Sieur d’Egbert reconnaît d’une manière si formelle l’autorité Partérienne au préjudice de la Comique, il s’est élevé de nouvelles disputes entre les Auteurs, le Public et les Acteurs, tant sur la nature, la propriété et la qualité des pièces qui ont été depuis peu représentées, que sur l’étendue et les bornes de l’autorité des Comédiens et de la Puissance Partérienne, Sa Divinité, attentive à remplir tout ce que les oisifs amateurs des spectacles exigent de son pouvoir, semble devoir empêcher qu’à l’occasion de ces disputes, on ne mette en question les droits d’une Puissance qui a reçu de la raison seule l’autorité de décider sur les pièces qui leur sont présentées par les Acteurs, de faire observer les règles prescrites pour la conduite des tragédies et des comédies dans l’ordre du théâtre, de les recevoir ou de les refuser, selon qu’elles seront plus ou moins conformes auxdites règles, et de se faire obéir en opposant aux Acteurs, non seulement des pénitences pécuniaires par la réprobation de leurs ouvrages, mais de véritables peines spirituelles par leur jugement ou par les censures que les Comédiens ont droit de prononcer et de manifester, et qui sont d’autant plus redoutables qu’elles produisent leur effet sur l’esprit de l’Auteur, dont la résistance n’empêche pas qu’il ne porte malgré lui la peine à laquelle il est condamné ; mais si Sa Divinité, comme protecteur du Parnasse, et en qualité de Dieu des Comédiens, doit empêcher qu’on ne donne aucune atteinte à ce qui appartient si essentiellement à la Puissance Comédienne, son intention est aussi qu’elle continue à jouir dans ses foyers de tous les privilèges qui leur ont été accordés sur l’appareil extérieur de leur tribunal comique, les formalités de la réception des Auteurs à la lecture de leurs ouvrages, l’air de dépendance et d’humiliation auquel ils sont assujettis, les visites et les courbettes qu’ils sont obligés de faire pour captiver la bienveillance de leurs premiers juges, les jugements forcés auxquels ils sont obligés de se soumettre et en général tout ce qui ajoute la terreur des peines pécuniaires à la crainte des peines de l’esprit.

Mais, comme les disputes qui commencent à s’élever pourraient devenir également dangereuses pour les Auteurs, le Public et les Comédiens, Sa Divinité leur a ordonné et ordonne par provision de garder un profond silence, tant sur lesdites matières qui ne sont que de pures fadaises et des disputes de nom, que sur les Auteurs qui peuvent y avoir quelque rapport, et qui ne sont pas de la plus grande importance. En conséquence, Sa Divinité fait très expresses inhibitions et défenses à tous limonadiers du Parnasse, et notamment à Procope et à Gradot, de permettre aucunes disputes dans leurs cafés sur cette matière, Sa Divinité se réservant à elle seule, comme juge en cette partie, sur l’avis de ceux qu’elle jugera à propos de choisir incessamment dans son Conseil des Muses, et même dans l’ordre des comédies, de prendre les mesures qu’elle estimera les plus convenables pour conserver de plus en plus les droits inviolables des deux Puissances, et maintenir entre elles l’union qui y doit régner pour le profit et le plaisir commun des Comédiens et du Public ; ordonne, en exhortant, Sa Divinité à tous les Comédiens et Baladins du Royaume, de veiller chacun dans leur tripot à ce que la tranquillité du parterre soit charitablement et inviolablement observée, en ne recevant à l’avenir au théâtre que des pièces où l’esprit soit amusé, le cœur intéressé et l’âme élevée à des mouvements dignes d’elle, et non de ces satires du temps qui ne plaisent que par les traits ressemblants, où la malignité du cœur humain trouve si bien son compte, et qui, en enrichissant les Comédiens, déshonorent également les Auteurs et les Spectateurs. Enjoint à tous juges en droit foi et notamment à Momus, Lieutenant Général de Police du Parnasse, de tenir la main à l’exécution du contenu au présent arrêt.

  • 1Cet arrêt fait allusion à la déclaration du roi du mois de mars 1731 qui impose silence à toutes sortes de personnes de parler ni écrire sur cette matière [la constitution Unigenitus)

Numéro
$4437


Année
1731




Références

1754, V,69-72 - F. Fr.10476, f°89r-90r - Lille BM, MS 64, p.477-86


Notes

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