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Arrêt du conseil d’Etat de la Calotte qui destitue l’Opéra-Comique du titre et des privilèges de troupe calotine

Arrêt du Conseil d’État de la Calotte,
qui destitue l’Opéra-Comique
du titre et des privilèges de Troupe Calotine
et qui en met en possession les Comédiens-Français et Italiens
en faveur des pièces qu’ils ont représentées sur les théâtres
à l’occasion de la convalescence du Roi
    Scarabin, par la grâce de Momus Prince du Fol Empire, Électeur des Petites-Maisons, Grand Duc de Haute-Folie et Souverain des Espaces imaginaires. À tous ceux qui ces présentes verront, Salut.
    Sur ce qui nous a été représenté, que par le privilège accordé à l’Opéra-Comique pour être spécialement notre Troupe calotine et bouffonne, nous aurions ordonné qu’on ne jouât sur ce théâtre que des pièces dignes de nos idées creuses et écervelées, ainsi qu’il s’est pratiqué depuis près de vingt ans. Que néanmoins, au mépris de nos ordonnances, ce spectacle aurait donné des ouvrages fins et spirituels, et que notamment depuis quelques mois il en aurait osé faire paraître deux que nous avons lieu de soupçonner avoir été dérobés à Apollon, l’un sur les conquêtes du Roi et l’autre sur la convalescence.
    Après avoir considéré que l’Opéra-Comique devenant insensiblement l’école du Goût, abandonnait sa destination primordiale et se rendait indigne de notre protection ; voyant d’ailleurs que les Comédiens, tant Français qu’Italiens, faisaient leurs efforts pour attraper notre genre fou et ratier ; désirant de tout notre cœur encourager les arts ridicules et ceux qui les cultivent, nous avons jugé à propos de déclarer nos volontés sur cette matière par les articles suivants.

I. Nous prétendons que l’Opéra-Comique ne soit plus regardé comme entretenu par nous ni comme notre troupe ; qu’en conséquence on biffe du catalogue des pièces faites pour réjouir notre Majesté Polissonne La Chercheuses d’esprit, Le Prix de Cythère, Le Coq de village, La Rose, Acajou.

II. Nous défendons qu’on parle jamais devant nous des Amours grivois et du Bal de Strasbourg, comme étant des productions qui ne sont ni folles ni calotines et publiées à la gloire d’un Prince qui n’a jamais rien fait qui pût lui mériter une place dans notre Régiment de la Calotte.

III. Voulons que l’orchestre de l’Opéra-Comique soit dépouillé du nom de musique ordinaire de nos oreilles ; que le Sieur Dourdes soit banni à perpétuité de notre Empire pour y avoir voulu introduire des ballets qu’il a composés sous la conduite de Terpsicore, notre ennemie jurée.

IV. Enjoignons à nos huissiers à verge d’appréhender au corps, si faire se peut, les Demoiselles Brillant et Darimatte ; l’une en punition de ce qu’elle a apporté le goût du chant et les charmes de sa figure sur un théâtre où la grosse Delisle nous faisait mille extravagances ; l’autre pour s’être donné les airs d’être une aimable et piquante pantomime dans un lieu où nous ne voyions jadis que des contorsions ridicules.

V. Commandons à tous acteurs et actrices de l’Opéra-Comique, de quelque qualité et condition qu’ils soient, de vider nos Etats six minutes après la publication des présentes. Condamnons le sieur Nower et les Demoiselles Pulvigné et Sauvage à s’éloigner de cent degrés et une seconde de tout lieu où régnera notre goût burlesque et hétéroclite.
    Le tout rangé à notre tête et au gré de la lune, nous étant transporté à la Comédie-Française, ayant vu L’Algérien ou Les Muses comédiennes ; en ayant jugé le prologue bien ratier, bien décousu, la pièce digne de nous, n’ayant ni rime ni raison, et le dénouement en étant tombé des nues. Ayant claqué les gigotements et les moues des acteurs et actrices ; ayant admiré un ballet des halles dansé dans un sérail d’Alger, aux fredons glapissants d’une de nos frétillantes comédiennes. Nous étant de là fait transporter chez les Italiens et y ayant reçu comiquement un bouquet, composé ridiculement de trois fleurs ou chardons ; ayant été ravis de la représentation d’un comédie en lampions et bouts de chandelles ; ayant loué un ronde biscornue qui faisait la clôture de la fête calotine. Retiré dans notre château des Girouettes, les faits bien pesés dans deux calottes de papier brouillard suspendues par un cheveu en plein air, après avoir rangé le ballet des Comédiens-Français au niveau de celui des Dindons, dont nous avons fait part au public dans nos étrennes de la Saint-Jean, nous avons dit et disons : Que les Comédiens Français et Italiens seront substitués au lieu et place de l’Opéra-Comique et porteront le titre de Troupe calotine avec nos armes, grelots et sonnettes sur le frontispice de leur hôtel. Assignons aux Italiens une pension de 50 000 livres sur la fumée de leurs feux d’artifice et aux Français une dîme sur les nourritures ambulantes par la ville, comme petits pâtés, pommes, fromage, tisane à la glace, etc. leur permettant de se servir de l’industrie des savetiers, ramoneurs, chaudronniers, etc. généralement de tous ceux et celles dont ils ont pris la figure dans leur ronde triviale et polissonne, et justement dédiée à Notre Majesté Hurluberlue.
    Mandons à tous rimailleurs, chansonniers, gribouilleurs de vaudevilles et hurleurs d’odes, tant de familles juives qu’arrière-petit-fils d’une cousine de Malherbe, ou de Pierre de Provence, de trousser au plus tôt pour nos nouveaux comédiens quelque tragédie à mourir de rire, ou quelque comédie à pleurer à tire-larigot. Car tel est notre plaisir.
    Donné dans notre château des girouettes, le 63 de la lune du courant. Scellé de notre sceau comique de cire gris de lin.

    Signé Scarabin
        et plus bas, Cornichon

Numéro
$4154


Année
1744




Références

Clairambault, F.Fr.12712, p.4154 - Maurepas, F.Fr.12647, p.273-78 - 1752, IV,27-31 - F.Fr.12785, f°217r-224r - Lille BM, MS 65, p.491-501


Notes

Imprimé