Requête présentée à Momus, par les demoiselles Coupé et Desgranges, actrices de l'Opéra, tant pour elles que pour leurs compagnes qui se trouvent dans le cas de l'article 20 du code lyrique ou Réglement pour l'Opéra, imprimé au mois de juin 1743
Requête présentée à Momus,
par les demoiselles Coupé
et Desgranges, actrices de l’Opéra,
Au monarque de la Calotte,
Folâtre dieu porte-marotte,
Qui, pour l’honneur du Régiment,
Veut que tout se passe dans l’ordre
Et qui corrige tout désordre
Par l’effort de son jugement,
Remontrent sérieusement
Marthon Coupé, Alix Desgranges
Qui n’ont jamais aimé le change,
Qu’au magasin de l’Opéra
Tandis qu’en secret l’on publie
Le règlement qu’approuve
La déesse de l’harmonie,
Que sans doute on affichera
Dans le temple de Polymnie,
Que même on réimprimera
Sans consulter l’heureux génie
Qui sur votre plan composa
Tous les articles qu’il dressa
Dans un des bosquets de Cythère
Où, sous les habits de Voltaire
L’amour dormait profondément
Entre Melpomène et Thalie
Près de sa servante Émilie
Qui dans les bras de son amant
Admirait cette tragédie1
Dans les collèges applaudie,
Que les Comédiens-Français
Comptaient jouer au moins vingt fois,
Qui, quoiqu’aux flambeaux répétée
Ne sera point représentée
Pour observer le règlement
Dont on a titre de présidente2
Dans une attitude déplaisante
Chez Plutus avec l’enjouement.
Cartou, d’un ton mystérieux,
En sablant alors le champagne
Pour contenter les curieux
Leur fit hautement la lecture,
En y joignant une aventure
Par forme d’observation
Et qui, dans cette conjoncture,
Servit d’interprétation
Aux articles quatorze et seize3 .
À Votre Divinité plaise
Ordonner l’exécution
Du règlement sans caution,
Qu’en conséquence et sans réserve,
Comme ce grand code l’observe
D’en payer l’expédition4 .
Votre Divinité puissante,
Pour les actrices bienfaisante,
Sans aucune distinction
Nous fasse délivrer en forme
Après avoir passé sous l’orme
Qu’à cet effet on plantera
À la porte de l’Opéra
Tous les ans des lettres d’absence
Offrant sur nos appointements
De payer un droit de présence
À celles qui n’ont point d’amants,
Qui, de Clairon imitatrices,
En se livrant à leurs caprices
Nous remplacent par leurs talents
Sans s’enrichir à nos dépens.
Ayant égard à la requête
Que nous osons vous adresser
Sans crainte de vous offenser,
Puisqu’en secret Cartou s’apprête
Et se propose dans le mois
De présenter aussi la sienne
Pour une actrice parisienne5
Et le conservant dans ses droits
Attendu notre circonstance
Nous espérons qu’en conséquence
Et sur le rapport souverain6
Que l’on dit être fort humain
Votre chancelier ordinaire
En lui payant son honoraire
Sans délai nous délivrera
Lettre d’absence qu’il fera
Imprimer par votre libraire
Qui sans bruit le débitera
Au parterre de l’Opéra ;
Gratifiera d’un exemplaire
Celles que nous remplacerons
Dans les rôles qu’elle joueront
Lorsqu’elles en seront requises ;
Et pour éviter les surprises
Qu’on pourrait faire en pareil cas,
Attendu qu’on ne manque pas
De frauder le droit des absentes,
Surtout des actrices dansantes,
Il vous plaise en conformité
De ce qui vient d’être arrêté
Entre les magistrats femelles7 ,
Que pour décider nos querelles
De les juger sommairement
Vous voudrez par le Règlement
Faire défense à toutes actrices
Qui seront pour nous d’exercice
De nous enlever nos amants
En voulant nous rendre service,
Vu que, sûres de nos appointements,
Mais sans nous porter préjudice,
Nous consentons avec plaisir
Qu’en leur donnant la préférence
Momus leur fasse délivrance
De ce qu’il leur plaira choisir
Soit les bijoux, soit les espèces,
En leur faisant défense expresse
D’introduire ou de recevoir
Nos amants qui voudront les voir
À la toilette ou dans leurs loges8
Qui, leur prodiguant des éloges
Qu’elles ne mériteraient pas,
Rendraient hommage à leurs appas,
Qui chercheraient à les surprendre
En leur promettant des bijoux
Qu’ils auraient acheté pour nous ;
Et comme elles pourraient se rendre,
Il vous plaise aussi leur défendre
De recevoir aucunement
Et sans notre consentement
Boîtes à mouches, tabatières,
Souliers brodés, boucles, jarretières9
Sous peine de punition
Même de confiscation
Au profit des jeunes novices
Qui n’ont d’autre protection
Que celle de quelques actrices
Et qui toujours en action
Ne demandant qu’à satisfaire
Et réveiller la passion
De ceux qui, par occasion,
Trouvant en elles l’art de plaire
Ne consultant que leurs désirs
Et profitant de leurs loisirs
En payant la taxe ordinaire
Prennent la route des plaisirs
Et s’embarquent dans la galère
Qui mène à l’île de Cythère,
Jouant toujours sans gagner rien
Quoique menacés de l’orage
Abordent sans aucun naufrage.
Faisant ainsi, vous ferez bien.
- 1Jules César, tragédie du Sr de Voltaire qui a été représentée dans différents collèges. Il voulait la faire jouer par les Comédiens-Français. La dernière répétition en a été faite lundi 10 juin 1743, à minuit, mais des raisons particulières l'ont obligé de la retirer et de quitter Paris.
- 2Par l'article 36 du Règlement, lad. Mlle Cartou est nommé présidente du premier tribunal ou Chambre des foyers, établie par l'article 35.
- 3L'article XIV défend expressément tous les enlèvements, quoique volontaires, ordonne que les filles enlevées seront réintégrées à l'Opéra comme chose publique et inaliénable. L'article XI ordonne qu'il sera délivré des lettres d'absence aux actrices qui seront dans le cas de l'article XX. Voyez ces deux articles.
- 4"Voulons que par forme de compensation, il leur soit retenu sur leurs appointements une certaine somme pour l'expédition des lettres d'absence qui leur seront délivrées pour un temps prefix." (Art. XVI du Règlement.
- 5Une jeune actrice, très connue dans Paris, mais que nous avons intérêt de ne pas nommer, se trouvant dans le cas de l'article XXIII du Règlement à l'occasion d'un marquis que l'on a fait mettre à Saint-Lazare pour empêcher qu'il ne multiplie des dettes qu'il faisait tous les jours. Cette veuve anonyme, sachant que les parents de son amant captif voulaient employer l'autorité pour lui faire restituer plusieurs bijoux de prix que la mère du jeune marquis réclame, a eu recours à Mlle Catrou qui l'a prise sous sa protection, et l'on dit qu'en son nom un abbé doit présenter requête à Momus pour demander l'exécution de l'article XXIII de son règlement.
- 6Voyez les articles 16, 17, 18 ,19, 20 et 21. Par l'article XX il est dit que sur le rapport du Sr Soumain, il sera sursis si besoin est, aux exercices de la requérante.
- 7Il est dit par l'article XXXVI du Règlement que pour plus grande expédition et retrancher autant qu'il sera possible toute superfluité ou longueur dans les rapports et les opinions, les magistrats femelles crées et nommées par cet article tiendront l'audience et jugeront sans siéger et debout.
- 8Conformément à l'article XXXVIII du Règlement, par lequel il est défendu aux actrices d'introduire ou de laisser entrer dans leurs loges, notamment pendant leur toilette, tous suppôts de spectateurs, de quelque rang et qualité qu'ils soient, autres que les patrons bienfaiteurs et commensaux de l'Opéra.
- 9On dit que la demoiselle Coupée qui s'est trouvée dans le cas de l'article XX du Règlement, a reproché plus d'une fois à celle qui la remplace ordinairement les dépenses qu'elle a occasionnées à son amant pour la dédommager des complaisances qu'elle a eues pour lui pendant l'indisposition de la Dlle Coupée. Les suites fâcheuses qui en ont résulté pourraient servir de supplément aux éclaircissements historiques que l'on a joint au Règlement pour l'intelligence de quelques articles qui auraient encore besoin d'un commentaire. Mais c'est une anecdote qui aura sa place et q'on se réserve à faire valoir dans un autre temps.
Maurepas, F.Fr.12647, p.443-50 - F.Fr.10477, f°33-36 - Lille, BM, 62, p.425-437
Texte passablement incohérent