Requête contre la Dargoujade
Requête contre la Dargoujade,
en faveur du Sieur d’Argouges
Au grand Momus porte-marotte
Soit remontré très humblement
Que certains faiseurs de calottes
Enrôlent dans le Régiment
Par patentes licencieuses
Nouveaux calotins à bon droit ;
Qu’au lieu de satires joyeuses
On voit user en leur endroit
D’injures par trop grossières
Que les calotins délicats
Ja laissèrent aux harengères
Pour en user en pareil cas.
Témoin la patente indigente
Du Très haut et puissant Seigneur,
M. d’Argouges, tant modeste,
Où l’on voit fade rimailleur
Qui sans esprit s’emporte, crie,
Et s’en va partout publiant
Qu’il trahit jadis sa patrie
Par un lâche enregistrement.
Que ce nouveau Messire Bridoye
Ne sentencie au sort de dés,
Mais bien au doux son de monnaie.
Pas ne devraient être plaidés
Forfaits d’une telle importance
Dans notre tribunal joyeux.
Bien mieux vaudrait-il en l’instance
Du jocrisse peindre à nos yeux
La personne tant pure et monde, [sic]
Si que plus retapé robin
À face plus claire et beau teint
Ne se voit oncques en ce bas monde.
Ou bien dévoiler les ressorts
Qui font mouvoir sur des roulettes
La masse épaisse de son corps
Et jouer comme marionnettes
Cet assemblage radieux.
Devant l’éclat de sa perruque,
Tremblez, mortels audacieux,
Et si la rondeur de sa nuque
De frayeur vous a fait pâlir,
Parlez-lui de sa noble race.
Vous le verrez se radoucir
Et par un sourire plein de grâce
Approuver votre compliment,
Convenir qu’il est en sa place,
Se plaindre du sort indécent
Qui l’a vêtu de longue toque.
Si robe courte il eût pris,
Il eût fait briller son esprit.
Puis, continuant ce dialogue,
Assaisonné de dignité,
Vanter les doux présents de Flore
Dont pour marque de gravité
Son gent cabinet il décore.
Car sachez que chez ce docteur,
Au lieu de papiers et d’auteurs
On voit régner sur ses tablettes
Douces roses, tendres violettes.
Pas ne messied tel ornement
Au magistrat du Régiment ;
Bien a montré par gros mémoire
Qu’il est digne de cette gloire,
Lorsqu’il prouve par argument
La primauté sans dépendance
De qualité de lieutenant.
Donc baillez-lui la lieutenance
De votre auguste tribunal ;
Qu’assis au siège sans égal
Il puisse épanouir sa rate ;
Que là sa ravissante patte
Fasse étinceler diamant
Dont l’éclat vif et brillant
Porte le feu à la lumière
Et vienne éblouir la visière
De notre peuple chicanoux ;
Qu’à son audience chaque fou
Fasse un profond salamaleque
Et du magistrat printanier
Admire la bibliothèque.
Ordonnez qu’à chaque quartier
Tout le produit on lui délivre
De placets qu’il vend à la livre
À la beurrière, à l’épicier.
Dans cette gloire où il aspire,
Cher Bullion, ne va le troubler.
Momus t’exclut de son empire,
Et ton rival entend combler
D’honneur, de dignité, de grâces.
Où la folie offre les places
D’Argouges tient le premier rang.
Fait au conseil du Régiment,
Au mois de mars, en pleine lune,
L’an de grâce sept cent vingt-six
Où tout créancier importune
Car l’argent est au denier six.
F.Fr.9353, f°191v-193r - F.Fr.15017, f°189r-193r - Lille BM, MS 63, p.428