Réponse à une lettre qui contient 68 pages, écrite par un anonyme à M. Aymon
Réponse à une lettre qui contient 68 pages,
écrite par un anonyme à M. Aymon
Que ferons-nous de ce grand homme,
À ton avis, compère Aymon ?
Que ferons-nous de l’épitome
De Socrate, de Cicéron ?
Le dieu Mercure et le dieu Mome
Aiment ce rare esprit, dit-on,
Comme un Normand le code, ou comme
Un chantre affamé le jambon
Les dieux veulent en somme
Enrégimenter tout de bon XXX.
C’est ainsi qu’on nomme
Des orateurs le parangon.
Qu’en ferons-nous, compère Aymon ?
Quand je lis sa longue missive,
Aussi galante qu’instructive,
Lors je m’écrie, extasié,
C’est Voiture ressuscité.
Quand, du discours joint à sa lettre
Par quelque obligeant géomètre,
Je me fais rendre le vrai sens,
Le doux plaisir que je ressens
Courant chez moi de veine en veine
Me force à dire avec transport :
Non, non, certes, il n’est pas mort ;
C’est lui-même, c’est Démosthène.
Encore un coup, compère Aymon,
Qu’en faire ? Cela m’inquiète.
Déjà Momus sur sa cassette
Doit lui faire une pension.
Pour rendre sa gloire complète,
Joignons-y, malgré la disette,
Quelques dons de notre façon.
De tous discours académiques
Ainsi que des salutations,
Des contredits et des répliques,
Et de tous froids panégyriques.
Donnons-lui primo les coupons
De ces morceaux, car ils sont bons,
Quoiqu’en disent quelques critiques.
Il pourra en faire des tuniques,
Voire des manteaux, courts et longs,
Pour habiller ses prosélytes
Et revêtir ses acolytes
Gisant ès petites-Maisons.
Du bruit des oraisons funèbres
De chaque thèse et plaidoyer
Et des instruments de ténèbres
Cédons-lui les baux et loyers ;
Sur le produit le plus liquide
De l’éloquence archifluide
Des Hérodotes des charniers
Assignons lui quatre deniers ;
Des riches sentences des halles,
Des épitalames bouquets
Paranymphes, mercuriales,
Remontrances et vains caquets,
En faveur d’un homme si rare
Formons un ferme bizarre
Dont il sera le prête-nom.
Qu’en penses-tu, compère Aymon ?
Notre marotte est-elle avare
Des compliments de jour de l’an
Pour se parer aux bonnes fêtes,
Tel présent est des plus honnête,
Transportons-lui tout le clinquant ;
Ajoutons-lui les lots et ventes
Des guenilles et des lambeaux
Qu’aux crieuses de vieux chapeaux
Débitent laquais et servantes ;
Enfin, pour ses menus états,
Côte à côte du grand Thomas,
Concédons-lui commode place
Pour vendre en été de la glace
Dont son chais est le magasin
À rafraîchir la populace.
Il gagnera plus d’un douzain
Pour les douze travaux d’Hercule.
Je rêve en vain ce qu’il lui faut,
Mon pauvre esprit est en défaut.
Gare Momus et sa férule.
Non, m’y voilà. De nos haras
Tirons une docile mule,
Mule allant l’amble et l’entrepas
Comme celle du pape Jules.
Sur ce pacifique animal,
Notre héros chaque semaine
Doucement et d’un pas égal
Ira visiter son domaine.
J’entends ce terrain élevé
D’où, sous plus d’une bête asine,
On mène à Paris la farine
Dont maint palais est cimenté.
Terminons cette kyrielle
Nous donnons tout, compère Aymon.
On devrait nous mettre en tutelle,
Mais pour un si joli garçon
Est-ce un mal d’avoir trop de zèle ?
F.Fr.9353, f°228v-230r - F.Fr.15016, f°13r-16r -Lille BM, MS 65, p.430-36
La lettre initiale n'a pas été retrouvée.