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préface

                                                  Préface
    Le Régiment de la Calotte doit sa naissance à quelques beaux esprits de la Cour, qui formèrent il y a quelques années une Société. Ils se proposèrent pour but de corriger les mœurs, de réformer le style à la mode en le tournant en ridicule et d’ériger un tribunal opposé à celui de l’Académie Française. Les membres de cette nouvelle compagnie ayant prévu qu’on ne manquerait pas de les accuser de légèreté sur la difficulté de leur entreprise, jugèrent à propos de prendre une calotte de plomb et le nom de Régiment de la Calotte. Voici qu’elle en fut l’occasion.
    Vers la fin du règne de Louis XIV, M. de Torsac, exempt des Gardes du Corps, M. Aymon, Porte-manteau du Roi, et divers autres officiers, ayant un jour fait mille plaisanteries sur un mal de tête dont l’un d’entre eux souffrait extrêmement, proposèrent une calotte de plomb au malade. La conversation s’étant échauffée, ils s’avisèrent de créer un Régiment composé uniquement de personnes distinguées par l’extravagance de leurs discours ou de leurs actions. Ils le nommèrent le Régiment de la Calotte, en faveur de la Calotte de plomb, et d’un consentement unanime le Sr Aymon en fut aussitôt élu général. Cette burlesque saillie fut poussée si loin que l’on fit faire des étendards et frapper des médailles sur cette institution et il se trouva des beaux esprits qui mirent en vers les brevets que le Régiment distribuait à tous ceux qui avaient fait quelque sottise éclatante. Plusieurs personnes de distinction se rangèrent sous les étendards du Régiment, et chacun se faisait une occupation sérieuse de relever par des traits de raillerie les défauts des gens les plus considérables et les fautes qui leur échappaient. Cet établissement ayant fait du bruit, on voulut d’abord le frapper par les fondements. Mais il para tous les coups qu’on lui porta, malgré le crédit de ceux qui s’intéressaient à sa destruction, et les assauts redoublés de ses ennemis ne servirent qu’à le rendre plus florissant.
    Le Régiment grossit dans peu de temps, et la Cour et la Ville lui fournirent un nombre considérable de dignes sujets.
    Louis XIV ayant été informé de la création de cette plaisante milice, demanda un jour au Sr Aymon s’il ne ferait jamais défiler son Régiment devant lui : Sire, répondit le Général des Calotins, il ne se trouverait personne pour le voir passer. Ce colonel remplissait parfaitement les engagements de sa charge, lorsqu'il la quitta assez brusquement par un principe d’équité qui lui fit honneur.
    Pendant que les alliés assiégeaient Douai, M. de Torsac étant chez le Roi, s’avisa de dire qu’avec trente mille hommes et carte blanche, non seulement il ferait lever le siège aux ennemis, mais aussi qu’il reprendrait en quinze jours toutes leurs conquêtes depuis le commencement de la guerre. M. Aymon, qui entendit cette bravade, lui céda sur-le-champ son bâton de commandement, et depuis ce temps-là M. de Torsac a été Général du Régiment jusqu’à sa mort qui arriva en 1724. Son oraison funèbre, qui a été imprimée, a fait beaucoup de bruit. C’est un tissu des plus mauvaises phrases des harangues prononcées à l’Académie Française, des éloges des savants, des Lettres du Chevalier d’Her***, etc. que l’on a cousues ensemble fort adroitement. Cette pièce est d’autant plus estimable qu’elle est une satire très juste du style précieux et affecté que quelques membres de l’Académie ont voulu mettre en vogue depuis plus de vingt ans. Il était difficile qu’elle plût à tout le monde, surtout à ceux dont on tournait les ouvrages en ridicule. On trouva le moyen de la faire interdire et les exemplaires en furent saisis.
    Le Sr Aymon qui, en quittant la place de Général, en était devenu le Secrétaire, ayant appris cette nouvelle, se rendit en toute diligence chez M. le Maréchal de Villars et lui dit en l’abordant : Monseigneur, depuis qu’Alexandre et César sont morts, nous ne reconnaissons d’autre protecteur de notre Régiment que vous. On vient de saisir l’Oraison funèbre du Sr de Torsac notre colonel et par là d’arrêter le cours de sa vie et de la nôtre qui y est intéressée. C’est pourquoi, Monseigneur, je viens vous supplier de vouloir bien en parler à M. le garde des Sceaux, qui m’a accordé par écrit la permission de faire imprimer ce discours. En même temps il montra cette permission au Maréchal qui ne put s’empêcher de rire d’une pareille sollicitation. Cependant M. de Villars ayant promis au Sr Aymon de lui accorder ce qu’il demandait, il le fit le lendemain en sa présence. Que voulez-vous que je fasse ? répondit M. le garde des Sceaux à M. de Villars. Ce qu’il vous plaira, répartit ce Maréchal, vous êtes le maître. Eh bien, reprit M. le garde des Sceaux, je trouve à propos de ne me point brouiller avec ces Messieurs. Allez donc, continua-t-il en adressant la parole au Sr Aymon, je vous donne main levée de la saisie de l’Oraison funèbre de votre Colonel. Aussitôt le Sr Aymon courut triomphant annoncer la nouvelle au libraire chez qui on l’avait saisie et tout fut rendu.
    Cette victoire ne contribua pas peu à accroître la gloire du Régiment, qui fit bientôt des progrès considérables. Ce qu’il y a de remarquable, c’est que par une maxime diamétralement opposée à celles des autres compagnies de la République des Lettres, les personnes qui avaient été l’objet des brocards des fondateurs du Régiment de la Calotte, y ont été enrôlés depuis, ce qui les a mis en droit de se revancher des railleries qu’ils avaient essuyées. Il n’y a pas un sujet, même parmi les Grands, qui n’y soit enrôlé, dès qu’on trouve en lui les talents propres à cette milice.
    Cependant on n’y admet que ceux en qui ces talents ont un certain éclat, sans aucun égard pour leur condition, ni aux sollicitations de leurs amis. Il faut d’ailleurs que ce soient des gens d’esprit ; les sots en sont exclus. Lorsque quelqu’un est reçu dans le Corps, c’est l’usage qu’il fasse à l’assemblée un discours en vers, dans lequel il met ses propres défauts dans tout leur jour, afin qu’on puisse lui donner un poste convenable.
    La crainte d’être en butte aux censures des calotins, a engagé les Seigneurs de la Cour à s’en rendre les protecteurs. Cependant il semble que presque tout le monde ait consenti à ne point se formaliser de leurs satires, et que pour faire un contraste plaisant avec l’honneur qu’on se fait d’être membre de la Calotte, ceux qui n’en sont point affectent de ne pas regarder comme un déshonneur d’en être critiqués. Il est vrai qu’i n’y aurait point à gagner en se fâchant, comme l’ont éprouvé ceux qui ont jugé à propos de s’en plaindre. Ces critiques s’adressent aux fautes relatives au bon sens et au langage, et elles ne roulent d’ordinaire que sur les jeux d’un folie innocente et ingénieuse. Quelquefois elles vont plus loin, lorsque le bien public semble demander qu’on démasque certains personnages et qu’on passe les bornes que les fondateurs du Régiment s’étaient prescrites.
    Il n’y a point de Corps qui observe plus scrupuleusement les règles de l’équité. Le Régiment n’accorde ses pensions et ses emplois qu’à ceux qui s’en rendent dignes par un mérite vraiment calotin ; la faveur ou la qualité sont inutiles pour y prétendre. Le désintéressement des officiers est parfait ; car les brevets, tant en vers qu’en prose, sont distribués gratis. Comme les secrétaires du Régiment ne pourraient suffire à l’expédition de tant de brevets qu’on accorde tous les jours, divers poètes se font un plaisir de les soulager dans ce travail sans exiger aucun salaire. On ne saurait croire combien ces inconnus sont zélés pour la gloire du Régiment. Ils sont si attentifs à lui procurer des sujets qu’ils fournissent souvent des hommes auxquels on ne pensait pas, et qu’un certain mérite semblait devoir exclure de cet illustre corps. Mais on ne s’en rapporte pas toujours à leur choix ; ils sont obligés d’en donner des raisons, dont les commissaires examinent la solidité.
    Voici l’explication des armes qu’on a placées au frontispice de ce Recueil ; ces armes sont un emblème parlant du caractère et de l’emploi du célèbre Régiment de la Calotte.
    L’écusson d’or au chef de sable, chargé d’une lune d’argent et de deux croissants opposés de même métal. L’écusson est chargé en pal du sceptre de Momus, semé de papillons sans nombre de différentes couleurs. Ledit écusson est couronné d’une calotte à oreillons, dont l’un est retroussé et l’autre abaissé. Le fronton de la Calotte est orné de sonnettes et de grelots indifféremment attachés, pour marquer la hiérarchie du Régiment. Elle a pour cimier un Rat passant, surmonté d’une girouette pour en marquer la solidité. Les armes ont pour supports deux singes, ce qui dénote l’innocence et la simplicité, et deux cornes d’abondance en lambrequins, d’où sortent des brouillards, sur lesquels ont assignées les pensions du Régiment. Au haut de ces armes voltige une oriflamme avec cette devise : Favet Momus, Luna influit ; c’est-à-dire : Momus favorise, la lune influe.
    On ne manquera pas de publier la suite de ce recueil et le Sr Colombat, toujours attentif à servir utilement le public n’épargnera ni soins ni dépense pour rendre cet ouvrage digne de la curiosité des personnes de bon goût.

 

Numéro
$4315





Références

1726, [III-XII]