Calotte pour M. Vigne fils
Calotte pour M. Vigne fils
Par ordre de Son Excellence,
Permission et mandement,
Notre archer ailleurs se trouvant
Pour des affaires d’importance,
Faisons savoir par ce libelle
À nos sujets les plus fidèles,
Nous, Deville le barbouilleur,
Grégoire, moucheur de chandelles
Et Patot le seul décrotteur,
Qu’ayant parcouru les offices
De notre auguste Régiment,
Avons trouvé que sans justice
On avait laissé pour vaquant
Celui qu’est le plus nécessaire
Devait avoir le premier rang
D’orateur dont le ministère
Demande un sujet méritant.
Avons examiné l’affaire
Avec la dernière rigueur.
Munis de toute la candeur
De gens de notre caractère,
Et procédant à notre choix
Avons d’une commune voix,
Nommé Maître Jean-François Vigne
À telle charge d’orateur,
Croyant n’en trouver un meilleur
Et qui mieux en parut plus digne ;
Instruits de ses rares talents
Et que depuis plus de dix ans
Sans qu’il se soit mis en posture
De jamais desserrer les dents
Dans les endroits où l’on murmure,
En demandant ou défendant
Il sait s’attirer maints clients
Qui sont charmés de sa figure
Et de son air plein d’agrément.
Informé que ce Démosthène
S’est rangé sous nos pavillons,
Poussé par l’émulation
D’avoir une gloire certaine
Et de s’acquérir un grand nom.
À ces causes, nous le nommons
Par ce présent et proclamons
Sans qu’il puisse s’en mettre en peine
Pour notre orateur triomphant.
Nous ordonnons à son parent
De fabriquer une cornue1
Qu’il enchâssera proprement
Sur un bateau bien éminent
Où se place le déclamant,
Pour que nos sujets l’entendant
Battent des mains la tête nue
En signe d’applaudissements.
Lui donnons calotte et sonnettes
Avec un habit d’Arlequin.
Voulons de plus que l’on lui mette
Pur qu’il ait les phrases plus nettes
Un Cicéron en chaque main
Et pour fixer ses honoraires
Ordonnons qu’il soit établi
Par Bonnet2 , son intime ami,
Qui pourra doubler ses salaires
Quand son travail l’aura requis,
À la charge de rendre compte
À notre fidèle boursier,
De peur que par un gros mécompte
Il ne divertit nos deniers.
Que le présent Motet publie
Dans les carrefours et cafés
Pour que Chaunel l’intendant crie
Placite, Messieurs, placite.
Fait l’an et jour qu’il s’imagine
Que l’on doit partout l’admirer
Et qu’on vergette son échine
Sans qu’il en ose murmurer.
F.Fr.23859, f°144r-145r
= $2033