Aller au contenu principal

Ordonnance de Momus

Ordonnance de Momus

Sur les représentations

De vénérable personnage

Au dieu des Petites-Maisons,

Que l’on fait un mauvais usage

De la trop grande liberté

Qu’on laisse au chef de la Calotte.

Afin qu’aucun d’eux ne s’y frotte,

Avilissant la dignité

D’un régiment si respectable

En donnant au moins raisonnable

Soit par faveur ou autrement

Le degré le plus éminent,

Pendant que des gens de cervelle

Par une injustice cruelle

Sont réduits par l’oisiveté

À vivre dans l’obscurité,

Gens du sang ancien illustré

Qui, chérissant toujours le lustre

Des nobles grisons, leurs aïeux,

N’ont pas rougi d’être comme eux ;

Gens d’ailleurs éclairés, habiles

Et qui dans des cas difficiles

Pourraient faire en moins d’un instant

Le décompte du Régiment.

Momus étant en son conseil,

Ayant vu du premier coup d’œil

De cet abus la conséquence,

Et combien il est important

D’y remédier incessamment

Pour le bien de toute la France,

A ordonné ce qui s’ensuit.

 

Art. 1er

Que grison, homme de grand bruit,

Tant renommé par sa naissance,

Par son nom, par son alliance,

Par ses grands emplois chez…

Qui ne lui peut rien alléguer

Sinon quelque petite niche

Qui l’ont rendu tout d’un coup riche

Aura très despotiquement

Tout le détail du Régiment.

 

Art. 2

Et de crainte qu’on en murmure,

Par une faveur toute pure

Lui permet, ledit sieur Momus,

D’accabler de fades rebuts

Et d’impertinences grossières

Ceux qui par humeur trop altière

Voudraient sans rime et sans raison

Faire avec lui comparaison.

 

Art. 3

Connaissant sa capacité

Et son amour pour l’équité

Veut Momus le laisser le maître

De congédier ou d’admettre

Dans les emplois les plus brillants

Ceux qu’il trouvera de bon sens,

Sans en excepter sa famille,

Femme, belle-sœur, garçon, fille,

Et sans qu’on leur puisse imputer

De ne le pas bien mériter.

 

Art. 4

Pour soutenir avec éclat

La dignité de son état,

Veut que dans un leste équipage

Il promène son beau ménage

Par tous les quartiers de Paris ;

Que les jeux, les grâces, les ris

Accompagnent partout sa femme,

Et que tel soit digne de blâme

Qui voudra sur elle gloser,

Le laissant maître d’imposer

Tel châtiment et telle peine

Que pourrait exiger sa haine.

 

Art. 5

Comme il a dissipé son bien

Et qu’il ne lui reste plus rien

Que quelques rentes sur les tailles ;

Qu’un avide tas de canailles

Ont dévoré à belles dents

Ce qu’il avait d’or et d’argent ;

Veut Momus, malgré la chronique,

Même en dépit du domestique

Qui m’a dit comme un enragé

Qu’il tire un peu sur le clergé,

Et qui, vivant en homme sage

Et sortable en son équipage,

Par des abbés entretenus

Se prennent sur leurs revenus

 

Art. 6

Lui donne Momus, en pur don,

Cinquante calottes de plomb,

Tant pour lui que pour sa famille,

Donne à sa femme si gentille

Douze mille boîtes de carmin

Pour entretenir son beau teint,

Cinq cents livres de blanc d’Espagne

Et tout ce qui vient de Cocagne

De plus curieux, de plus beau

Pour maintenir fraîche sa peau,

Donne en cas de nécessité

Deux fioles de vanité

Permet qu’elle-même [ill.]

Dans l’alambic du plus beau style,

Plus un pot d’onguent précieux

Qui sert à faire ouvrir les yeux,

Plus un admirable breuvage

Propre à refaire un pucelage,

À le rendre frais et nouveau

Et tels qu’on les trouve au berceau,

Qu’il donne à sa sœur, la Gilberte,

De peur que le sien ne se perde.

 

Art. 7

Veut que sa généalogie,

Par un effort d’astrologie,

Le sépare du rang des gueux,

Ce sans trop tirer aux cheveux,

Cheveux que M. son beau-père,

Par un surprenant savoir-faire,

Aux quais de Gesvres et Pelletier

Vendait à quelque tignassier

Tant qu’il y fit une fortune,

Non pas deux, mais seulement une

Car son pauvre fils, tout nu-pieds,

Même au bourreau ferait pitié,

Et sa chère fille cadette

Depuis qu’elle n’est plus coquette

N’est qu’un effroyable avorton

Auprès de sa sœur la dondon.

Aussi Momus pour la refaire

Et pour assurer leur état

Permet qu’elle soit vivandière,

Et son frère premier goujat.

 

Art.8

Afin qu’il paraisse étoffé,

Veut qu’en tout point il soit fieffé,

Que son château de la Varenne,

Plus grand fief que Saint-Maur de Vienne,

Qu’il soit au moins baron, marquis,

Que Montmartre lui soit soumis,

Qu’il y commande, qu’il ordonne,

Que sa respectable personne

Brillante par un si beau fief

Y soit toujours traité en chef.

Fait défense à tout petit-maître

À tout sot, si sot qu’il puisse être,

À tout fat et à tout faquin,

À tous pleutres, à tous coquins,

À tous gens de petit génie,

À tous chevaliers d’industrie,

À peine d’être usurpateurs

De lui disputer cet honneur.

Veut que de louange on l’accable

Dans son emploi irrévocable,

Qu’il obtienne sans le demander

Et qu’au plus tôt et sans tarder

Le présent partout on affiche

Afin qu’on sache qu’il est riche.

Fait dans les Petites-Maisons

Et signé de tous les bouffons.

Numéro
$4380





Références

F.Fr.15014, f°23r-29r  -Lille BM, MS 63, p.458-68