Aller au contenu principal

Ordonnance de Momus pour former une ligue des calotins contre la raison leur ennemie

Ordonnance de Momus contre la Raison,

ou la Ligue des calotins

Momus, par grâce du destin,

Ou plutôt décret équitable,

Prince à jamais irrévocable

Du grand empire calotin,

Duc des vapeurs, pair des fumées,

Commandeur de l’ordre des sots,

Généralissime des armées

De la soldatesque à grelots,

Aux vrais sujets de la Marotte,

Fidèles à son seul pouvoir,

Sans qu’aucun autre leur importe,

Salut, honneur, bonjour, bonsoir.

Sur la nouvelle inopinée

Que Dame Raison de nouveau

Plus que jamais est mutinée

Et déploie encore son drapeau,

Aveugle sur une puissance,

Motif des plus grands attentats.

Faudra-t-il garder le silence

Et laisser périr mes États ?

Non, non, chers enfants, le temps presse.

C’est peu de rester ennemie,

L’impudence de la déesse

Veut une Saint-Barthélémy.

Combien, pour ramener la folle,

Ai-je daigné faire des pas.

Sait-elle ce que la parole

Doit se payer aux avocats ?

Que dis-je, amis, je m’évapore,

Tant, hélas, je suis courroucé.

A beaucoup près qu’elle l’ignore :

Sans eux son sceptre était troussé,

Sans eux notre idéal empire

Était pour jamais florissant ;

Sans eux, sans leur sage délire,

J’étais reconnu seul puissant.

D’un serment quoiqu’inviolable

Retenant d’abord le sujet,

J’envoyais la couronne au diable.

Tout me répondait du succès

J’avais déjà su, par adresse,

Sans compromettre votre sang

Insinuer à la déesse

Ce que l’on devait à son rang.

Déjà je lui faisais comprendre

Que ces beaux défenseurs des lois

N’étaient qu’une cohorte à pendre

Comme attentatrice à ses droits.

Contre ma favorable attente

Qu’est-il arrivé cependant ?

Chose la plus désespérante,

Nous n’en tâtons que d’une dent.

En vain, pour réparer sa faute,

J’ai lancé des traits fulminants.

Le moindre petit rat en saute

Ou de plaisir ou par bon sens.

D’un côté recouvrant la vue

L’aveugle a connu nos filets

Et nous a laissé la bévue

Pour tous fruits de nos grands projets.

De l’autre, la gent avocate,

En gent adroite et fine au jeu,

A glissé doucement la patte

Et tiré les marrons du feu

Peut-être même, la perfide,

Au moyen de cet entretien

Trame-t-elle mon homicide

Comme ici nous tramons le sien.

Oui, sans doute. Ah, je l'entends dire.

À moi, plumes, encres et papiers :

Contre la raison l’on conspire.

Un fol la fera-t-il plier ?

Non, non, c’est à lui de souscrire

Aux lois qu’elle veut rétablir.

Notre empire est le seul empire,

Tout autre lui doit obéir.

À ces causes, voulant proscrire

Et bannir d’entre les humains

Gens qui font un conte pour rire

De la puissance entre nos mains.

Nous mandons à nos capitaines

Et à tous chefs de nos guerriers,

De planter là leur Célimène

Pour courir après les lauriers.

Entendons qu’au bruit de la caisse,

Chacun bientôt, sous son drapeau,

Aille massacrer son bien aise

Ou chercher un noble tombeau.

Enjoignons que dès ce soir même

Aux pieds de notre majesté

Ils apportent un diadème

Qu’elle n’a que trop mérité.

Et pour mieux servir notre haine,

Nous leur donnons pour commander

Certaine quidam romaine

Qui force tout à lui céder.

Fait l’an sept cent trente-unième,

L’après-midi du quatorzième,

Du mois où nous sommes moins fous,

Comme étant le plus court de tous.

Momus chez qui plaisir abonde,

Gaiement assis à table ronde,

Servi en chair comme en poisson,

Du Luc des comtes de Marseille

Tenant en main une bouteille,

Comus et Bacchus l’échanson

Présents, car pour bannir du monde

La trop importune raison

Qui le genre humain toujours gronde,

Il ne connaît d’autre façon.

Numéro
$4391


Année
1731




Références

F.Fr.15017, f°7r-12r - Lille BM, MS 62, p.370-77