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Brevet du Régiment de la Calotte qui nomme le Sr. Pautrier, négociant, prévôt des marchands de Lyon, étant encore échevin, finissant sa seconde année en décembre 1751.

Brevet du Régiment de la Calotte
qui nomme le Sieur Pautrier, négociant,
prévôt des marchands de Lyon, étant encore échevin,
finissant sa seconde année en décembre 17511
De par le dieu porte-marotte,
Nous, Général de la Calotte,
Désirant de tout notre cœur
Élever au poste d’honneur
Un calotin dont la science,
Grands talents, sage expérience,
Se manifeste dans Lyon,
Salut et bénédiction,
À nos sujets de cette ville,
Magistrats de noble famille,
Bourgeois, Suisses et Savoyards,
Abbés, chanoines et cafards.
Or sus, assemblé en chapitre,
Ayant ouvert notre registre
pour ce faire l’élection
De notre prévôt de Lyon,
Rafanau2 , un des secrétaires
De nos volontés sublunaires,
Nous a exposé vivement
D’exclure du gouvernement
Ces grands magistrats de justice,
De cour souveraine et police,
Et tout savonné calotin
De noble lessive à vilain
Qui jamais d’heureuse mémoire
N’ont arrosé notre écritoire3
Et par expédient tout nouveau
Proposa ledit Rafanau,
De faire entrer en nos recettes
(Gardant toutefois ses mains nettes)
Trente mille francs tous les ans
En créant prévôt des marchands
Ceux de nos sujets les plus sages,
Dûment décrassés des villages,
Trafiquants de l’Inde au Pérou,
Nageant dans l’or jusqu’au cou,
Venant à nous les mains garnies
Discours bref, mais plein d’énergie
Que pour trancher court, en un mot,
Chacun de nous aurait son lot.
Ce ouï, la noble assemblée
Battant des mains, fit grande huée,
Mais d’un seul geste je fis chut.
Le calme advint, chacun se tut,
Et de la main portant marotte,
Enfonçant ma triple calotte,
Animé d’un zèle sans fard,
J’invoquai le dieu goguenard ;
Sus donc, Nous, Généralissime,
Flatté d’accorder notre estime,
Très éminente protection,
À tous nos sujets de Lyon,
Y faire naître l’abondance,
Saine régie en nos finances,
Avons choisi à cet effet
Pautrier4 , notre amé sujet,
De brave gente savoyarde
Fidèle, franche et non pillarde,
Pour falot prévôt des marchands
De nos Lyonnais bonnes gens.
L’honorons de triple calotte
Surmontée d’une marotte
Au timbre du grand écusson ;
Item, notre illustre cordon
Passé au corps en bandoulière
Pour figurer de manière
Être abordé avec égards
De nos calotins savoyards
Des vallées barcelonnettes.
Vous, gentilles catherinettes5 ,
Venez, sautez, menez en rond
Vos gavottes et rigaudon,
Rassemblez toutes vos marmottes
Et de vos culs lavés les crottes.
Pour vous, magistrats importants,
Nobles, bourgeois et artisans,
Vous ordonnons qu’en cette fête
Au plus tôt un chacun s’apprête
A lui faire salamalec6 .
Vous lui rendrez tout le respect
Dû à son distingué mérite
Nombre des projets qu’il médite,
Nourris dans son brillant cerveau,
S’échaufferont tout de nouveau
Et éclatant en homme habile
Il fera revoir à la ville
L’abondance dans ses greniers,
Ménageant au mieux les deniers.
Aux nobles il fera la nique
Et démontrera sans réplique
Qu’ils sont en charge sans talents
Pour l’orageux gouvernement,
Que l’esprit mis en évidence
N’est aux rangs ni à l’opulence,
Qu’il se trouve en l’homme de rien,
Fait d’un bon choix, vrai citoyen.
Fait en notre auguste assemblée
Opinant du bonnet d’emblée
Et scellé de notre grand sceau,
Le plus brillant et le plus beau,
À lacs de crin, à triple queue
De couleur jaune, verte et bleue,
Aujourd’hui, jour de Saint-Thomas
Lyon triomphant par ses rats,
En la tierce nouvelle lune
De l’ère à nous seuls commune
Par calcul juste d’un chacun
Sept mille sept cent cinquante un.
Fin

Envoi du brevet de la calotte au Sr Pautrier
Ma muse, enjouée et badine,
T’envoie, Pautrier, cette calotine.
Elle ne te veut, ma foi, point de mal.
J’y suis partout censeur impartial.
Je n’ai pu te voir du coin du parterre
Sur la scène proclamé roi,
A nos robins donner du nez en terre,
Sans quelque peu rire avec toi.
En vaine clameur un chacun s’escrime
De te voir élevé au plus haut de nos rangs,
Mais gouverne bien, et toute notre estime
Glorieuse pour toi, tu siffleras les grands.

Complainte pour M. Pautrier Sur l’air des Pendus
Corrigé et diminué,
néanmoins avec le dernier couplet ajouté de nouveau par M. P. AD..
Or, écoutez, petits et grands,
Nobles bourgeois et artisans,
Et par ce récit véritable,
Qui paraît tenir de la fable,
Apprenez aux temps à venir
Le sûr moyen de parvenir.

Dans cette ville il est venu,
Un pied chaussé et l’autre nu,
Gentil gars de Barcelonnette,
Nourrisson de Catherinette.
Notre bon duc de Villeroy
L’a fait noble comme le Roi.

  • 1Ce singulier brevet fut fait à la fin du mois de décemblre 1751. Il fut distribué dans la ville, manuscrit, et envoyé au Sr Pautrier, par l’auteur. P.A.*** (M.).
  • 2Secrétaire de M. le duc de Villeroy, gouverneur à Lyon. Ce Rafanau est un homme de rien ; je l’ai vu en 1732 petit commis à ce secrétariat du gouverneur, avec six cents livres d’appointements ; mais parvenu à devenir le premier secrétaire, ayant toute la confiance du duc, dont il avait épousé la femme de chambre de sa maîtresse (Mme de Courcillon), il s’enrichit en peu de temps. Il vendait les places de prévôt des marchands, d’échevins et autres charges et emplois de la ville. En un mot, il jouissait en 1751 de quarante mille livres de rente. Il a volé impunément la ville, ainsi que bien d’autres, ce qui a causé un dérangement considérable dans ses finances. Elle doit aujourd’hui (1763) 22 millions (M.).
  • 3ous les magistrats de la ville, chacun en corps, envoyèrent des mémoires en cour contre le Sr Pautrier, que M. le duc de Villeroy avait fait breveter prévôt des marchands, en représentant qu’il venait seulement d’être anobli depuis deux ans par l’échevinage et qu’il faisait encore le commerce, de plus qu’il était étranger, lui et son père, étant tous deux Piémontais ou Savoyards, que c’était contrevenir aux privilèges du Lyonnais, fondés sur les lettres patentes de nos Rois, qui ordonnaient que les prévôts des marchands soient nobles français, et de plus Lyonnais d’origine. Le Roi eut égard à leurs requêtes et le brevet de Pautrier fut révoqué. C’était cependant un homme d’esprit, mais il n’était pas fait pour cette place. Cette affaire le ruina. Rafanau avait tiré beaucoup d’argent de lui, et il fut obligé pour vivre d’accepter une charge du grenier à sel à Embrun, en Dauphiné (M.).
  • 4Quoiqu’il fût breveté du Roi prévôt des marchands, par les oppositions que firent les citoyens, il ne fut point installé à cette place à la manière accoutumée. Le brevet, comme je l’ai dit plus haut, fut révoqué, attendu son défaut de naissance. Il faut être originaire et natif de Lyon, suivant l’édit d’Henri IV de 1603. Il était au contraire né à Turin, et son père était savoyard (M.).
  • 5Quelques facétieux de la ville, le jour qu’on eut nouvelle de son brevet, firent assembler une douzaine de petites Savoyardes jouant d’un instrument de la vielle, et autant de petits Savoyards montrant la marmotte en vie, ou jouant de l’orgue, annonçant et portant la lanterne magique ; ce qui faisait un concert complet à la manière savoyarde, qui lui fut donné dans sa rue le soir devant sa porte, ce qui occasionna à son sujet beaucoup de propos pour lui déplaisants, et l’exposa à la risée du public (M.).
  • 6yez le Salamalec lyonnais que nous a donné en vers Mr. de la Monnoye dans son troisième tome du Menagiana, pag. 254, qui est un conte fort plaisant et bien tourné que je pourrai donner ici à la suite dans ce recueil (M.).

Numéro
$4208





Références

Lyon BM, MS 53, f°53-57