Lettre circulaire du roi de la Basoche à ses sujets. A l'occasion de l'arrêt du Parlement qui défend aux clercs de porter l'épée
Lettre circulaire en forme de manifeste adressée à tous les clercs du Palais, de la part du chancelier de la Basoche1
Yves-Martin Pillebrioche,
Par la volonté des destins,
Roi, chancelier de la Basoche,
À tous nos sujets galopins
(Sujets s’entend portant l’épée)
Salut, honneur, franche lippée,
Allégresse, prospérité,
Mets exquis, vins en abondance,
Très séraphique patience,
Et surtout robuste santé.
Chers sujets, il vient de paraître
Certain arrêt à la fenêtre
Dont l’orgueilleux dispositif
Nous réduit tout net au canif.
Sans respect pour nos privilèges
Il porte ses coups sacrilèges
Sur nos usages, sur nos droits.
On veut nous imposer des lois,
Et dessous un joug tyrannique
Ranger notre État despotique.
Par ce libelle diffamant
On nous défend expressément
De nous servir de cette épée
Jadis avec succès trempée
Dans le sang du fier ennemi
Terrassé sous Montmorency2 .
Par une suite ridicule,
Cette parlementaire bulle
Nous prohibe semblablement
De nous vêtir indécemment.
Ces excès sont trop d’importance
Pour demeurer dans le silence :
Comment donc, pourquoi, depuis quand
Notre frère le Parlement
S’est-il fourré dans la cervelle
De nous ranger sous sa tutelle ?
Ne tient-il donc par un arrêt
Qu’à défendre ce qui déplaît ?
Nous pourrions bien autant en faire,
Nous en avons le caractère.
Mais à quoi bon, ainsi que lui
Nous mêler des affaires d’autrui ?
Chacun se gouverne à sa guise
Dès que l’usage l’autorise.
Avons-nous jamais d’un seul mot
Troublé l’ordre de son tripot ?
Dévoilons-nous ses injustices
Quand il se taxe pour épices
Tant, tant pour ses vacations,
Tant pour mille autres exactions,
Dans un procès toujours énorme
Moins par le fond que par la forme
Et dont tout le point cardinal
Est de savoir si tel cheval
Ou tel âne a fait tel dommage
Dans tel endroit, tel pâturage ?
Nous voit-on de mauvaise humeur
Contre ce grave rapporteur
Qui, près d’une aimable cliente,
Prenant une mine riante
Souvent sur un lit de repos
Jugeant le procès à huis-clos,
Vend, entraîné par ses faiblesses,
Son suffrage pour des caresses ?
Nous entend-on jamais railler
Maint petit poupin conseiller
Qui, le matin à sa toilette,
Plus occupé qu’une coquette
N’ouvre jamais le grand Domat
Que pour patiner son rabat ?
Blâmons-nous, quoique la matière
Nous en ouvre une ample carrière,
Sa doctorale gravité,
Sa chancelante autorité,
Ses expressions pédantesques
Et ses décisions burlesques ?
Enfin, si dans plus d’une affaire,
Le Conseil, équitable, austère,
Invariable en ses décrets,
Casse assez souvent ses arrêts,
Doit-il contre nous de la sorte
Tourner les coups que l’on lui porte ?
Croit-il que j’emprunte de lui
L’auguste éclat dont je reluis ?
C’en est trop. Puisqu’il veut la guerre,
Puisqu’il rompt le nœud qui nous serre,
Plus de quartier. Faisons-lui voir
Que nous rions de son pouvoir
Et qu’un roi de notre encolure
N’est pas de ces rois en peinture.
Or sus donc, mes braves sujets,
Loin de nous livrer aux regrets,
Sitôt la présente reçue,
Préparez-vous à la revue ;
Rendez-vous dans ces champs fameux
Où nos escadrons glorieux
Fixèrent jadis la présence
D'un de nos plus grands rois de France.
Là, faisant une montre aux yeux
De notre ennemi furieux
Pour tirer vengeance complète
De l'injure qu'il nous a faite
Je veux envoyer ses arrêts
Aux halles servir de cornets3 .
Fait au conseil de la Basoche,
L’an que certain homme à main croche,
Un mémorable procureur4 ,
Plus avide d’or que d’honneur,
Pour mille écus, nous dit l’histoire,
Se laissa casser la mâchoire.
- 1Lettre circulaire en forme de manifeste adressée à tous les clercs du Palais, de la part du chancelier de la Basoche au sujet de l'arrêt du parlement du mois d'octobre 1736 qui défend aux clercs de procureurs de porter l'épée.
- 2 L’an 1548 les clercs, sous le commandement du connétable Montmorency, réduisirent les peuples de Guyenne qui s’étaient révoltés (M.)
- 3 Le lecteur s’apercevra qu’il manque ici huit vers et deux de l’autre côté ; telles recherches que l’on ait faites, on n’a pu se les procurer, mais on n’a pas voulu pour cela priver le public du corps de la pièce qui est intéressante (M.).
- 4 Le Sieur Vrenne, procureur du Parlement (M.)
1754, V,31-35 - NAF.9184, p.234-35 - BHVP, MS 670, f°143v-146v - Lille BM, MS 62, p.309-16
De la Calotte à la Basoche. Tentative de transposition des procédés d'écriture